Le début d’une nouvelle année est toujours l’occasion de prendre de bonnes résolutions. Cette année, j’ai décidé de les choisir avec le plus grand sérieux, de façon quasi-scientifique. J’ai donc fait un premier petit calcul et j’ai découvert que, ayant habité la France durant toute l’année 2015, j’avais eu environ 17 fois plus de « chances » de mourir d’un accident de voiture que dans un attentat. L’année 2015 a pourtant été particulièrement meurtrière dans la seconde catégorie. N’ayant pas particulièrement envie de passer l’arme à gauche, j’ai pris la décision radicale d’utiliser plus régulièrement les transports en commun plutôt que la bagnole. Ce qui m’a surpris, car j’avais l’impression que, depuis le 13 novembre, on me conseillait de faire l’inverse. D’ailleurs, à ma connaissance, aucun chauffard n’a été assigné à résidence.
Autre calcul, autre découverte. Cette fois, avant de leur offrir des places pour un concert, je m’intéressais au sort de quelques proches un peu âgés ou considérés comme « vulnérables » sur le plan de la santé. Et je m’apercevais ainsi, avec la même rigueur scientifique, qu’ils avaient environ 210 fois plus de « chances » de mourir prématurément en raison de la pollution atmosphérique qu’en se faisant flinguer lors de ce concert. Soucieux de leur bonne santé, je leur ai acheté les places et suis parti fissa, en train et métro, rejoindre les manifestations écologistes à Paris. Ce qui m’a surpris, puisque le gouvernement, qui se préoccupe pourtant autant que moi de la vie de mes proches, avait décidé d’interdire ces manifestations.
Le gouvernement se serait-il trompé ?
Que la lutte contre le terrorisme soit nécessaire, cela ne fait pas débat. Ce qui peut poser question, en revanche, c’est la méthode choisie : l’autorité, voir l’autoritarisme. Car avec l’état d’urgence, nous voyons quand même, mine de rien, nos libertés individuelles et fondamentales fortement mises à mal. Alors que ces mesures n’ont jamais prouvé leur efficacité sur le plan de la sécurité, nous assistons, penauds, à la mise entre parenthèses de l’Etat de droit. Juste une mauvaise période à passer ? Pas sûr, car le président a déjà annoncé qu’il entendait modifier la Constitution pour prolonger l’état d’urgence. Autrement dit, la parenthèse est ouverte, mais on n’a aucune certitude sur la date à laquelle elle sera refermée. On ne sait même pas si les règles d’exception ne vont pas devenir la norme.
Ces mesures, censées nous rassurer, ne rassurent donc personne. Ni ceux qui sont pour – et qui sont plongés dans une psychose permanente –, ni ceux qui sont contre – et qui voient des principes fondamentaux tels que la liberté de manifester et la présomption d’innocence ouvertement bafoués. On ne compte plus les perquisitions arbitraires et les assignations à résidence farfelues. Ainsi, dans le contexte de la COP21, nous parlons beaucoup dans ce numéro des militants écologistes placés en garde-à-vue ou assignés à résidence. Mais précisons que, de la même manière, de nombreux musulmans ont été injustement la cible de ces mesures.
Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, un ministre danois avait donné une toute autre vision de la réplique à apporter à ces actes : il préconisait encore plus de liberté, encore plus de démocratie. Ne faut-il pas de toute « urgence » revenir à la raison ? C’est ce qu’ont compris les militants écologistes qui ont maintenu les manifestations durant la COP21 en dépit de leur interdiction. Ils ont ainsi choisi de désobéir, à l’État, et à la peur. Car cette dernière n’a jamais été une bonne conseillère, ni une franche amie de la liberté. Si ce sentiment est peut-être légitime compte tenu des événements, il doit donc être combattu. Désobéir à la peur, c’est la surmonter, et cela s’appelle le courage. Tiens, d’ailleurs, c’est pas le premier ministre qui nous a invités à être courageux ?
Nicolas Bérard