« À la campagne, y a toujours un truc à faire. Aller aux champignons, couper du bois, prendre l’air » chantait l’infréquentable Bénabar.
Mais ça, c’était avant la pandémie de pangolavirus et le protocole sanitaire version Emmanuel Macron. Car l’accès à la nature est de nouveau réglementé. En novembre, pas plus d’une heure de balade dans les bois. Et une flânerie qui ne devait pas dépasser un rayon d’un kilomètre. Il n’en fallait pas plus pour que notre esprit sauvage se retrouve une nouvelle fois entre quatre planches.
Pourtant, qu’on est bien dans la forêt ! On se souvient tous d’un dimanche après-midi en famille, avec un panier sous le bras, l’abécédaire des champignons et le couteau qui va bien. La madeleine de Proust de beaucoup d’amoureux de nature. On se rappelle des chaussures qui crissaient sous les feuilles mortes, du rouge vif des amanites tue-mouche et de la jeune biche rencontrée par hasard, au détour d’un chemin domanial.
Avec ce second confinement automnal, tous les pieds de mouton, chanterelles en tube et autres trompettes de la mort de l’année nous sont passés sous le nez. Des ramasseurs rebelles se sont même fait pincer par les gendarmes : 135 euros, ça fait cher l’omelette aux cèpes ! Une pétition lancée par nos camarades de Reporterre pour un accès responsable à la nature a réuni plus de 200 000 signataires.
On y apprend que sortir en plein air, c’est bon pour le moral et la santé. De nombreuses études médicales prouvent que le contact avec la nature réduit le stress, la dépression et les comportements addictifs. C’est scientifiquement prouvé : la balade champêtre est d’utilité publique !
« À la campagne, y a toujours un truc à voir. Des sangliers, des hérissons, des vieux sur des tracteurs »
Mais en ce moment, la forêt est surtout privatisée par une toute autre espèce, parfois plus dangereuse que la tique : seuls les chasseurs, qui ont le droit de réguler la faune sauvage, peuvent continuer leur loisir pépère. Tout ceci pour éviter la prolifération du grand gibier, qui pourrait engendrer des dégâts sur les cultures et les forêts. La circulaire a été pondue début novembre par la secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Abba. Une décision surprenante et injuste pour les promeneurs solitaires, condamnés à déprimer devant leur télé confinée.
Face aux chasseurs, le maigre lobby des cueilleurs de champignons a du plomb dans l’aile. On est pourtant loin de la perfection chez les professionnels de la « régulation ».
Dans l’Aisne, les chasseurs ont pu continuer à nourrir les sangliers, en continuant l’agrainage au maïs, alors que le ministère de la Transition écologique l’a interdit.
En Gironde, des oiseaux en pleine migration sont abattus tous les jours. Dans la Somme, plus de 200 chasseurs ont manifesté pour réclamer le droit inaliénable de flinguer du gibier d’eau. Dans l’Oise, on en a retrouvé dans des repas collectifs bien arrosés, sans masques et sans respect des gestes barrières. Même l’heure de déplacement pour l’activité physique peut être consacrée à la chasse. De la « détente cynégétique » bien légitime, selon le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen. Résultat : les populations de sangliers ou de chevreuils nourris et élevés par les chasseurs ne sont pas vraiment à la baisse.
À ceux qui ont le bonheur de vivre à la campagne, jetez votre attestation de déplacement dérogatoire et filez au plus vite dans une armurerie ! À la fin de sa chanson, Bénabar demande encore : « à la campagne, entends-tu au loin le cri de la grivette cendrée ? » Ça m’étonnerait, elle s’est déjà fait réguler.
Clément Villaume
Au sommaire du numéro 157
1 / éDITO La complainte du cueilleur de champignons /
Pour passer un Noël sans Amazon
3 / Les pros du vrac luttent contre leurs déchets cachés
4 / Entretien : avec la tontinette, la propriété c’est du vol !
5 / Bure des visages dans le dossier
6 / Reportage dans le Vaucluse : construire pour se reconstruire
12 /13 / Le jeu de la sorcière
14 / 15 / Actus drones et compagnie : disruption sécuritaire
16 /17 / La lorgnette : Main dans la main avec des réfugiés géorgiens /
Au sénégal, les orpailleurs mordent la poussière
18 / 19 / L’atelier au jardin / Couture & Compagnie / Cuisiner sans gluten / Le coin naturopathie
20 / Fiches pratiques : un sapin de noël sans couper d’arbre / Des couronnes de fêtes
Dossier 5 pages : Tous sorcières !
Les bûchers de sorcières, à la Renaissance, ont accompagné l’instauration du capitalisme et marqué la condition des femmes. Aujourd’hui, ces figures rebelles sont convoquées pour changer notre rapport au monde. Magnétiseuse, herboriste, chamane, druide… Témoignages de femmes et d’hommes qui s’affranchissent des normes pour entrer en relation avec les forces de la nature. Entretien avec la philosophe Isabelle Stengers, qui propose de s’appuyer sur l’expérience des sorcières néo-païennes et activistes pour se désenvoûter de « la sorcellerie capitaliste ».