Il faut marcher une petite demi-heure à travers la forêt de Seygne, entre Forcalquier et Banon (Alpes-de-Haute-Provence), avant de rejoindre le rassemblement organisé par le collectif Elzéard : Lure en résistance. On atteint une grande clairière, à 600 m d’altitude, après avoir emprunté des chemins creusés d’ornières pleines d’eau et bordant une futaie de pins, de chênes, de genévriers, de bruyères… Cette forêt, sur la commune d’Ongles, est concernée par un projet d’installation de 10 hectares de panneaux photovoltaïques par la multinationale Engie. Si le projet se réalise, il faudra défricher 12,7 hectares, soit l’équivalent de 18 terrains de football, dans cette belle forêt gorgée de zones humides et de marécages. « Il impactera des centaines d’espèces, 30 d’entre elles sont menacées, 7 font partie des espèces protégées », déplore le collectif Elzéard : Lure en résistance. Ce lieu n’est pas le seul concerné : environ 350 hectares de forêts et d’espaces naturels dans la montagne de Lure, touchant une dizaine de villages, sont menacés par l’implantation de centrales photovoltaïques.
« Ça me semble bizarre de couper des arbres pour créer une énergie verte », s’étonne Carola, membre du collectif. Pascal est bûcheron, il prend la parole au nom de l’arbre « qui transforme la lumière en nourriture pour tous les vivants, même les roches ». Mais les arbres sont parfois mal protégés, face aux appétits voraces et à l’appât du gain.
« On a un trésor forestier en France, mais il n’y a pas d’interaction entre les différents acteurs. Ils ne parlent pas d’une seule voix. »
Le problème n’est pas de couper des arbres pour récolter le bois, poursuit le bûcheron, « si on s’inscrit dans une temporalité qui respecte la forêt ». Mais dans cette forêt, il s’agit de sacrifier des arbres matures et magnifiques pour un projet industriel. Les installations photovoltaïques doivent investir les hangars, les parkings, les décharges, les terrains industriels… mais en aucun cas les espaces naturels, estiment les participants à ce rassemblement.
« Au lieu de créer des petites entités pour alimenter les villages, on nous met des projets industriels, déplore Arnaud, membre de l’association Les amis de Sérigons, qui se bat contre la destruction de la forêt à La Roche-des-Arnauds, dans les Hautes-Alpes, occasionnée par l’installation d’un parc photovoltaïque de 7 hectares. « On ne peut faire un parc photovoltaïque qu’en zone de continuité d’urbanisation, ajoute-t-il. Pourtant, les opérateurs ont obtenu une dérogation. L’État veut accélérer les dossiers. »
Sur la commune d’Ongles, l’autorisation de défrichement a été donnée avant le permis de construire, ce qui a occasionné une procédure judiciaire lancée par France Nature Environnement et l’association Les amis de la montagne de Lure. Dominique est membre de cette association : « Le gros problème c’est que les multinationales font miroiter aux élus des ressources importantes. Et comme il y a une baisse des dotations, les élus s’ouvrent aux promoteurs. » Avec la bénédiction de l’État, qui leur permet de vendre l’électricité à un tarif bien supérieur au tarif réglementé, et fait « sauter petit à petit tous les verrous pour faciliter l’installation des projets industriels ». Ainsi, l’arrêté du 8 avril 2020, qui pérennise le droit, pour les préfets, de déroger sous certaines conditions à des normes nationales.
Pourquoi tant de hâte, de passe-droit et d’entorses à la démocratie ? Le gouvernement a décidé de mettre le turbo pour passer d’une production de 8,4 GW en 2018 à 20,1 GW en 2020. À tout prix et au mépris de nos forêts, sources de vie.
Nicole Gellot
Au sommaire du numéro 156
1 / EDITO La résistance au photovoltaïque industriel s’organise / F. Hallé : Reconstituer une forêt primaire en Europe de l’Ouest
3 / À Nantes, l’autre cantine cuisine la solidarité
4 / 5 / Reportage : Un photographe mordu de vipères / Aux petits soins pour la faune sauvage
6 / Grèce : À l’abordage avec Krav Boca ! Le portrait : Elles enchaînent les kilomètres pour interpeler Emmanuel Macron
12 /13 / Le poster : Pour un monde sans 5G
14 / 15 / Actus Changer de cap pour la Pac
16 /17 / La lorgnette : La viande cultivée en éprouvette arrive dans nos assiettes / « J’ai peur pour nos paysans »
18 / 19 / L’atelier au jardin / Couture & Compagnie cuisiner sans gluten / Le coin naturopathie
20 / 21 / Fiches pratiques : Comment bien observer les animaux sauvages ? / S’initier à la photo nature
Dossier 5 pages : Déboulonnons la 5G
« Évidemment, on va passer à la 5G ! » Emmanuel Macron ne devrait peut-être pas se montrer si sûr de lui. Le patron de la start-up nation l’ignore peut-être, mais les résistances se multiplient face à cette nouvelle technologie. Pour des questions sanitaires, environnementales, sociales, sociétales, et souvent pour toutes ces raisons à la fois, des citoyen·nes s’organisent pour imposer un minimum de démocratie, empêcher l’implantation d’antennes ou même pour faire tomber celles qui ont déjà été montées. L’âge de faire est parti à la rencontre de ces résistant·es.