Dix-neuf octobre. Je suis avec des étudiant·es d’un IUT, filière Gestion administrative et commerciale. Des jeunes de 19, 20 ans, avec qui je travaille en cinq séances, sur les médias : lignes éditoriales, modèles économiques, traitement de l’information, presse indépendante… Vaste programme, quand beaucoup m’ont dit leur méfiance des médias au cours de notre premier atelier (et comment ne pas les comprendre).
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Aujourd’hui, les enseignantes responsables de la filière m’ont demandé d’animer un temps d’expression libre sur l’assassinat de Dominique Bernard, professeur au lycée d’Arras. Forcément, cela se télescope avec le conflit israélo-palestinien. Les jeunes sont aussi abasourdis que moi face à la violence de toute cette actualité, des débats publics et accusations qu’elle engendre, de son traitement médiatique. Tous ne sont pas d’accord. Leurs origines, leurs positions sociales, leurs sensibilités pèsent visiblement sur leur perception des événements. Mais je suis impressionnée par leur volonté de discuter dans le respect, sans s’accuser mutuellement. Cela contraste tellement avec l’exemple qui leur est donné, en haut, par les membres du gouvernement et les député·es. Ils en ont gros sur la patate, et ils marchent sur des œufs. Conscient·es du danger des stigmatisations, a minima à l’échelle de leur promo.
Il y a les émotions et réflexions partagées par tous : tristesse, incompréhension de voir des attaques dans des lieux, les écoles, « qui se prêtent le moins à la violence », peur, sentiment de vulnérabilité, et questionnements : « Comment stopper ça ? Qu’est-ce qui ne va pas dans la société pour que des jeunes se fassent endoctriner ? »
Quelques remarques reflètent le discours sécuritaire omniprésent. « Les gens qui ont des antécédents judiciaires ne devraient plus être sur le territoire français. Comment un fiché S pouvait encore être en liberté ? »
Et puis, ce temps de parole est, pour une partie des étudiant·es, l’occasion de dire leur sentiment d’être stigmatisés, en permanence. « Des psychopathes utilisent le mot islam pour faire leurs crimes, et ça crée un débat qui n’a rien à voir. La majorité des personnes croit que tous les musulmans sont pareils », lance une jeune fille. « On définit le profil du criminel et si c’est un Arabe, un musulman, on accentue beaucoup », complète un garçon.
« Moi, dans tout ça, je vois beaucoup d’injustices. Injustice pour le prof victime, et pour sa famille. Mais aussi une injustice médiatique.
– La liberté d’expression, c’est l’un des trucs les plus importants en France.
– Mais si tu dis que tu es pour la Palestine, tu prends une amende. »
Sentiment d’incrédulité et d’impuissance, que je partage. Je propose aux étudiant·es, pour prendre du recul, de s’accrocher aux mots. De se pencher sur ceux qui sont répétés en boucle sans jamais être interrogés, comme terrorisme, qui n’a pas de définition précise (lire la rubrique “mots” du numéro 189). Celles et ceux qui ont suivi l’option Géopolitique l’année dernière expliquent que cela les aide à comprendre ce qu’il se passe au Proche-Orient : « On est remonté jusqu’au début de la guerre. » Remonter aux débuts de l’État d’Israël, c’est me semble-t-il raconter une histoire de colonisation, avec son lot d’oppressions, d’injustices, de violences quotidiennes et systémiques à l’égard du peuple palestinien. Voilà qui devrait empêcher de renvoyer dos à dos colonisateur et colonisé, et encore plus de condamner unilatéralement le colonisé. Sans souscrire à l’horreur des dernières attaques du Hamas, nous devons pouvoir dire : nous sommes solidaires du peuple palestinien et de l’oppression qu’il subit depuis des décennies.
Lisa Giachino
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