Allez les gars, combien on vous paye, combien on vous paye pour faire ça ? » Si vous voulez tenter de détourner l’attention des CRS en manif’, essayez cette chanson. Une ballade enlevée qui a été entonnée guitare, voix et violons au poing, directement au menton des forces de l’ordre en 1980, pendant une lutte à Chooz dans les Ardennes. Elle évoque les face à face entre manifestants et CRS qui avaient alors souvent lieu, alors que des militants et habitants s’opposaient à la construction d’une nouvelle centrale nucléaire : Chooz B… Qui a finalement pris place, après la répression violente des manifestants par les gardiens de la paix, aux côtés d’un premier réacteur datant de 1967 : Chooz A.
D’après Michel Gilbert, l’un des auteurs du célèbre et belge GAM, Groupe d’action musicale qui luttait en musique dans les années 70 et 80, la chanson a été écrite au printemps 1980, « quand a eu lieu la première enquête d’utilité publique. […] Il n’y avait pas consultation sur ce qui comptait vraiment : le fait même de construire une centrale. Les habitants de Chooz étaient outrés. La première chose qu’ils ont faite avec ce dossier d’enquête, c’est de le prendre et de le taper dans la Meuse ! Et les premiers CRS ont été envoyés à Chooz. Puis il y a eu un mouvement très local qui s’est créé pour gêner l’arrivée et la sortie des dossiers d’enquête publique dans chaque petite commune du canton de Givet. Et là il a commencé à y avoir des affrontements de plus en plus rudes. » (1) Chooz B est déclaré d’utilité publique en 1981. L’année 1982 est jalonnée d’« échauffourées » (2). La contestation est rejointe par les sidérurgistes de l’usine voisine de Vireux, fermée en 1984. Les réacteurs entreront définitivement en service dans les années 2000 (3).
Boire un café ou castagner
« Oh, je n’oublierai pas devant nous, les casqués / Les fusils lance-grenades et les grands boucliers / Tout ça pour nous forcer quand nous n’avions pour nous / Que nos poings, le bon droit, et puis quelques cailloux. » La chanson n’a pas beaucoup vieilli. L’équipement des « casqués », s’est renforcé depuis avec LBD, grenades explosives GLIF4 puis GM2L… Les ferveurs militantes peut-être aussi. La chanson a fait sa route. L’« Empain-Schneider » d’alors s’est généralisé en « les actionnaires », pour qu’elle trouve sa place dans toutes les manifs.
D’autres chansons du même acabit ont depuis fleuri, notamment à la Zad du Testet, dans cette chanson de Luciole qui interroge : « Gardien de la paix, es-tu sûr que c’est bien elle que tu gardes ? » Mais quand celle-ci les invite à boire un café – contrariant au passage quelques militants réticents à cette idée – notre chanson « Allez les gars », elle, ne se fait « guère d’illusion » sur les mutineries qu’elle pourrait provoquer.
Lucie Aubin
1 A lire sur pointculture.be, toute une histoire de cette lutte.
2 Le Monde, février 1982.
3 Aujourd’hui, Chooz A est en plein démantèlement et Chooz B se heurte aux aléas du réchauffement climatique. Le réacteur a fermé pendant plus d’un mois, à l’été 2020, en raison du faible débit de la Meuse et pour respecter les accords avec la Belgique à ce sujet.
Quelle version écouter ?
Sur l’internet mondial, on trouve facilement la version du GAM, le groupe d’action musical, belge. C’est par exemple celle que propose sur son site, la chorale militante Le cri du chœur à Montpellier.
Et puis, René Binamé en propose une autre, version rock et confinement, enregistrée pour une compile pour enfants, “Les révoltés du bac à sable” et accompagnée d’une joyeuse chorale de mômes. Ici Empain-Schneder devient Picsou-Flairsou.
Les paroles :
Oh, je n’oublierai pas devant nous, les casqués / Les fusils lance-grenades et les grands boucliers
Tout ça pour nous forcer quand nous n’avions pour nous / Que nos poings, le bon droit, et puis quelques cailloux.
D’abord on s’avançait en frappant dans les mains / Y en avait parmi eux de vrais têtes de gamins
Les regards s’affrontaient, face à face, de tout près / Eux devaient la boucler, nous pas, et on chantait :
Refrain :
Allez les gars combien on vous paye, combien on vous paye pour faire ça
Allez les gars combien on vous paye, combien on vous paye pour faire ça
Combien ça vaut, quel est le prix, de te faire détester ainsi
Par tout ces gens qu’tu connais pas, qui sans ça n’auraient rien contre toi
Tu sais nous on n’est pas méchants, on ne grenade pas les enfants
On nous attaque, on se défend, désolé si c’est toi qui prends
Pense à ceux pour qui tu travailles, qu’on n’voit jamais dans la bataille
Pendant qu’ tu encaisses des cailloux, Empain-Schneider ramasse les sous
Avoue franchement, c’est quand même pas, la vie qu’t’avais rêvé pour toi,
Cogner des gens pour faire tes heures, t’aurais mieux fait d’rester chômeur.
Refrain
Je ne me fais guère d’illusions sur la portée de cette chanson
Je sais qu’tu vas pas hésiter dans deux minutes à m’castagner
Je sais qu’tu vas pas hésiter t’es bien dressé, baratiné,
Mais au moins j’aurai essayé avant les bosses de te causer.
Refrain