L’humain ne saccage pas la planète parce que c’est sa nature. Dans son documentaire, Agnès Fouilleux explore les mythes qui structurent notre rapport à l’environnement, et l’urgence de les faire évoluer.
Le documentaire L’usage du monde d’Agnès Fouilleux nous propose de participer à une rêverie. Les premières images nous plongent dans l’obscurité d’une nuit sans lune, percée de hululements. Le genre de nuit poétique, dans laquelle on se sent petit, parfois jusqu’à l’insécurité. Le contraste est total avec la séquence suivante : Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès. L’obscurité est ici artificielle, utilisée par le cinéma pour raconter une histoire. Cette histoire, c’est celle d’humains qui colonisent la Lune, tiens donc. On voit un obus s’enfoncer dans l’œil de l’astre… L’humain fait des rêves agités !
À quoi rêvait-il, l’humain, il y a quelques milliers d’années, quand il peignait des bisons dans l’obscurité d’une grotte, à la lueur d’une torche ? Qu’avait-il en tête ? Quelles histoires se racontait-il à propos du vivant qui l’entourait, à la fois source de vie, et des plus grands dangers ? Était-il redouté ? Vénéré ? Le songe d’Agnès Fouilleux ne nous plonge pas dans la somnolence, parce que les rêves sont parfois cauchemardesques : Sapiens a toujours eu un impact fort sur son environnement, rappellent les experts. Faut-il y voir une « nature humaine », comme le pensait déjà le naturaliste Lamarck au début du XIXe siècle, avec cette phrase terrible : « L’être humain semble destiné à se faire disparaître après avoir rendu le globe inhabitable » ?
La réponse est non. Le rapport de l’humain à son environnement n’est pas inscrit dans ses gènes. Il est culturel, contingent. Pour preuves, les nombreuses civilisations qui sont arrivées à trouver un équilibre avec leur milieu… équilibre nécessaire à leur survie, nous rappelle d’ailleurs un archéologue. Si les autochtones d’Amérique du Nord avaient décimé les populations de bisons, ils auraient risqué la famine la saison suivante. Les nombreuses générations qui nous ont précédés depuis des millénaires entretenaient, du fait de leurs conditions de vie, un autre rapport à ce que nous appelons aujourd’hui « la nature », cet environnement extérieur à nous, et dont nous faisons pourtant partie…
« Seuls ceux qui croient aux mythes sont réalistes »
Le documentaire L’usage du monde s’ouvre par une citation de Pasolini : « Seuls ceux qui croient aux mythes sont réalistes. » Les mythes ? Des histoires qu’on se raconte tellement qu’elles deviennent des vérités, et qui expliquent « pourquoi les choses sont comme elles sont », précise l’anthropologue Levi Strauss, grâce aux archives. Images évocatrices, bouts d’histoires, commentaires d’experts naturalistes, de préhistoriens… Le documentaire ouvre, par de multiples portes, cet interstice entre « la vérité » et « l’histoire qu’on se raconte ». Portes parmi lesquelles l’analyse d’un tableau, représentant la « conquête de l’Amérique ».
D’un côté, le progrès qui avance avec ses ponts, son télégraphe, sa lumière, sa terre cultivée, son chemin de fer. À sa tête, des hommes en armes qui font reculer l’obscurité, le bison, « l’Indien », la friche… le sauvage. C’est ce fameux « progrès », que l’on connaît trop bien, qui nous libère de la nature sauvage, pour lequel la civilisation se construit contre son environnement. L’histoire est toujours plus prosaïque. Elle retient la quasi-extinction des bisons organisée par les colons, rendant ainsi l’économie autochtone et son son mode de vie inopérants. Il suffit ensuite de remplacer les bisons par des vaches. La civilisation a parfois le regard bovin. Et pour demain, quel tableau devons-nous peindre pour représenter notre rapport à la nature ? Quel imaginaire opposer à celui d’Elon Musk, qui s’ennuie à ne plus rien pouvoir coloniser sur Terre ? Levi Strauss a une piste : « L’homme a besoin d’apprendre que s’il est respectable, ce n’est peut-être pas, d’abord, en tant qu’il est humain, mais d’abord, en tant qu’il est un être vivant. » À nos pinceaux !
Fabien Ginisty
L’usage du monde. Voyage entre nature et culture, Agnès Fouilleux, prod. La mécanique des songes, 106 mn. En salles le 18 septembre. Particuliers ou professionnels, pour organiser un ciné-débat avec la réalisatrice : admin@lesfilms.info
Ci-dessous la bande annonce du film.