Loi « Biodiversité » et compensation écologique : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup »*
La loi « Biodiversité » adoptée cet été a douché maints espoirs et nourri la crainte de voir se développer des outils au mieux insuffisants, au pire pervers, notamment à propos de la compensation écologique.
Il fallait donner un cadre clair à l’objectif de « zéro perte nette de biodiversité » : un maître d’ouvrage doit d’abord éviter le plus possible les impacts d’un aménagement sur le patrimoine naturel, sinon les réduire, sinon encore compenser ceux qu’il n’aura pu empêcher.
Au-delà de quelques avancées, les flous et les dangers persistent autour de trois enjeux.
La pérennité des mesures compensatoires
Si la loi indique que la durée d’une compensation doit être la même que celle de l’atteinte, rien ne le garantit. En l’état, à une destruction définitive de biodiversité correspondra toujours une compensation temporaire.
On peut alors, comme le sénateur Jérôme Bignon, espérer que de bonne grâce les propriétaires ne détruiront rien. Il aurait été préférable de concrétiser le fait que la valeur « écologique » créée sur ces terrains n’appartient pas à leur propriétaire, mais est un bien commun qui doit être garanti dans le temps, ce qui aurait impliqué une relecture du droit de propriété privée…
Compenser n’est pas effacer !
La loi consacre le triptyque « éviter-réduire-compenser » (ERC) dans l’évaluation des projets d’aménagement. Le problème est qu’on attribue à C la même fonction – effacer les impacts – que ER. Or, la compensation ni n’efface, ni ne réduit les impacts : elle ne fait que tenter de les compenser !
En l’état, cela induit le risque de faire de C un droit à détruire en pensant que C équivaut à effacer ces destructions, sans tenir compte des alertes des écologues sur les limites intrinsèques de la compensation face à l’intégrité et à la complexité des écosystèmes.
Le recours au marché…
La loi ouvre la voie à un marché de la compensation, avec des opérateurs futurs propriétaires de « sites naturels de compensation » qui vendront des « unités de compensation » aux maitres d’ouvrage en demande.
Comme aux États-Unis, le « privé » s’y jettera avec ses intérêts propres. En l’état, rien n’est dit sur la régulation de ce marché, alors même que l’on a pu constater les effets de la concurrence en termes de niveau de la compensation (low cost) et d’impacts sur la cohérence spatiale des territoires.
En particulier, rien dans le projet de décret en « consultation » ne permet d’éviter qu’un opérateur soit en fait contrôlé par un aménageur.
Privatiser et titriser la conservation de la biodiversité : plus la peine de crier au loup, il est parmi nous.
Ali Douai, Économistes Atterrés
* Cette expression, employée par M. Aubry en 2011 pour qualifier la posture du candidat Hollande, n’implique pas une défiance envers les loups.
Sommaire du N° 114 – Décembre :
- Édito : L’industrie du doute
- Vélo-travail : Pédaler en travaillant… collectivement
- Entretien : Yvan Bourgnon veut nettoyer les mers
- Film : Cancer business mortel
- Reportage : A Lyon, les petites cantines veulent essaimer
- Actus : CGT Vinci « Nous ne sommes pas des mercenaires »
- Plantes Médicinales : Reportage au Brésil / J. Fleurentin : « les plantes sont efficaces »
- FICHE PRATIQUE : Faire ses cataplasmes maison
- DOSSIER : Gare aux GAFA ! – Google, Apple, Facebook et Amazon : quatre mastodontes qui concentrent à eux seuls plus de la moitié de notre « temps numérique ».
Pourquoi faut-il s’en méfier ? Quelles sont les alternatives ?