Le Conseil d’État a suspendu la dissolution des Soulèvements de la Terre, estimant que le « désarmement » d’installations nuisibles à l’environnement ne troublait pas l’ordre public. Sa décision appuie les actions et nourrit les débats militants, comme à Lure ((04), où le collectif Elzéard bloque un chantier de centrale photovoltaïque.
Le Conseil d’État a-t-il légitimé les actions de désobéissance civile et de « désarmement » d’installations nuisibles à l’environnement ? Il a, en tout cas, estimé que les destructions matérielles qui ont eu lieu pendant les manifestations des Soulèvements de la Terre étaient très limitées et ne troublaient pas l’ordre public, et a relevé qu’elles s’inscrivaient dans des « prises de position » écologiques. Il a également noté qu’aucun élément ne montrait que le mouvement cautionnait la violence contre les personnes. Il a, enfin, constaté que sa dissolution portait atteinte à la liberté d’association. Le 11 août, il a donc suspendu la dissolution des Soulèvements de la Terre, qui avait été prononcée par décret, le 21 juin, par le gouvernement. Il s’agit d’une décision provisoire : le jugement sur le fond est attendu pour l’automne. Mais on sait déjà, en lisant le texte rendu par le Conseil d’État, que les arguments apportés jusque-là par le gouvernement sont jugés insuffisants. De quoi donner un surcroit d’énergie aux participant·es du Convoi de l’eau. Sept cent vélos et des dizaines de tracteurs ont quitté les abords de Sainte-Soline le 18 août, pour réclamer un moratoire sur les méga-bassines. Direction : l’agence de l’eau Loire-Bretagne, puis Paris.
Vigiles, caméras et drônes sur la montagne
Deux jours plus tôt, le 16 août à Cruis, sur la montagne de Lure (04), la décision du Conseil d’État trotte dans pas mal de têtes. Le collectif Elzéard-Lure en résistance a appelé des renforts pour empêcher la reprise des travaux d’installation d’un champ de panneaux photovoltaïques par la multinationale canadienne Boralex*. Au milieu de la matinée, une quarantaine de personnes cherchent l’ombre des rares et maigres arbres rescapés : en septembre 2022, 17 hectares de forêt ont été rasés malgré la mobilisation des opposant·es.
Le site est maintenant surveillé par deux vigiles d’une société de sécurité privée, des caméras de surveillance et une alarme qui se déclenche au moindre mouvement en criant des avertissements. Face à la plainte au pénal déposée par le collectif pour destruction d’habitats d’espèces protégées, Boralex a suspendu ses tests pour l’implantation de pieux dans la roche. Pourtant, à la mi-août, l’entreprise a tout de même commencé à clôturer son terrain, et demandé à la préfecture l’autorisation de le faire survoler par des drones… instaurant un bras de fer dont elle ne sortira pas, cette fois, gagnante.
En effet, Elzéard a répliqué en avertissant l’Office français de la biodiversité, dont un agent est venu constater les infractions commises par l’entreprise envers les espèces protégées. Une nouvelle plainte est en cours de préparation, car « les travaux réalisés ces derniers jours, en perforant la roche pour implanter les pieux des clôtures à quelques mètres du lézard ocelé, perturbent son habitat, alors qu’aucune autorisation environnementale n’a été demandée, souligne Pierrot Pantel, juriste et écologue qui accompagne le collectif. La clôture perturbe aussi la mobilité du loup, espèce protégée. » Boralex a annoncé qu’elle suspendait les travaux de clôture « jusqu’à nouvel ordre ». Le collectif est tout de même resté sur le terrain quelques jours de plus, au cas où. Le chantier pourrait maintenant être relancé fin septembre.
« Il faut qu’on en parle »
Le collectif Elzéard promeut la non-violence et ne cautionne pas la dégradation de matériel. Ce matin du 16 août, il a été rejoint par quelques membres du Café des libertés de Forcalquier, qui ont, sur le site, débranché des alarmes et dégonflé les pneus d’un engin. Un débat s’engage. « Pourquoi vous ne faites pas ça la nuit, pour bien vous dissocier de notre collectif ? », demande une dame. « Et vous, pourquoi vous ne rejoignez pas l’appel à désarmer ce qui détruit le vivant ? », rétorque l’un des membres du petit groupe, avant de préciser que le matériel n’a pas été endommagé. Tout le monde tombe d’accord sur l’idée que « c’est de la désactivation, pas de la dégradation ». Est-ce que cela rentre dans la désobéissance civile telle que veut la pratiquer Elzéard ? « Il faut qu’on en parle entre nous. » Pierrot Pantel rappelle quant à lui « l’état de nécessité impérieuse », dans lequel les Faucheurs d’OGM situaient leurs actions. La décision du Conseil d’État concernant les Soulèvements de la Terre revient dans la discussion. En prononçant leur dissolution, le ministre Darmanin n’avait sans doute pas prévu de stimuler d’aussi constructifs débats entre militant·es d’horizons différents.
Lisa Giachino
* Lire aussi L’âdf n°185, juin 2023.