Depuis le printemps, les habitants du joyeux hameau de Laborie en Ariège bataillent contre la paperasse et les préjugés pour accueillir une famille de demandeurs d’asile géorgiens. Installés dans une maison abandonnée, ceux-ci cohabitent désormais avec leurs voisins.
« On ne veut pas qu’un charter les ramène en Géorgie. Il ne faut pas qu’ils montent dans cet avion ! » Dans le petit hameau de Laborie, perché sur les hauteurs de Castelnau-Durban en Ariège, les habitants se sont lancés un beau défi. Aider toute une famille de Géorgiens qui a fui le régime autoritaire de leur pays.
Depuis le mois de mai, la famille Solomnishvili occupe à Laborie la maison d’une personne décédée il y a plusieurs années. Vakhtang, le père, y vit avec sa compagne Amanda et leurs trois enfants, ainsi que le frère d’Amanda. Une petite maison aux murs pâles, située à l’angle de la route et adossée à la fontaine du hameau. À l’intérieur, Amanda prépare du café dans le salon. Vakhtang fume une cigarette au balcon. Et Alicia, la petite dernière qui va bientôt avoir un an, s’amuse avec ses jouets. Une occupation jugée illégale par la justice française.
À Laborie, tout le monde se connaît et met la main à la pâte pour les aider. Charlotte donne quelques cours de français et s’occupe des papiers, Marc les aide à se déplacer, Marine s’occupe des enfants, Antoine ou Chloé font les courses… « Quand ils sont arrivés, on les a aidés à s’installer, précise Chloé. On a refait les peintures ensemble, on a nettoyé, remeublé. Ça fait vivre la maison. » En tout, une quinzaine de personnes filent quotidiennement des coups de main aux Géorgiens. « Merci beaucoup à eux, vraiment. Et aussi à la mairie. Il y a beaucoup de solidarité par ici », lance Vakhtang.
Tabassé par le pouvoir géorgien
Ancien caporal en Géorgie, le père de famille s’est retrouvé du jour au lendemain sans travail, à cause du changement de gouvernement. « Je me suis plains au ministère, mais on m’a mis dehors en me crachant dessus. Je leur ai dit que j’allais en parler aux journalistes. » Peu après, alors qu’il travaillait dans les vignes géorgiennes, des hommes l’ont emmené de force dans une voiture, avant de le tabasser et de le laisser pour mort dans un fossé. « Ils ont menacé ma famille aussi. On a même essayé d’enlever ma fille. Je n’ai pas voulu porter plainte, car j’avais peur. J’ai dit que j’étais tombé d’un arbre. Puis, on a décidé de prendre l’avion pour Barcelone.»
En France depuis un an et demi, les Géorgiens ont vécu le parcours classique des demandeurs d’asile dans un pays où l’on régularise à deux vitesses. Ballotés d’un endroit à un autre, dans un micmac juridique et administratif, ils ont vécu dans un Cada (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) à Foix. Puis, direction un chambre d’hôtel à Pamiers « sans tables, sans chaises, et sans possibilité de cuisiner ». Avant cela, ils ont également passé un mois en tente à Montauban dans le jardin d’une bénévole du Secours catholique. Leur fille Alicia est bel et bien née en France. Mais elle ne pourra pas prétendre à la nationalité française avant son treizième anniversaire..
Douce France…
« Ce sont des demandeurs d’asile. Ils n’ont pas le droit de travailler et pas d’argent. Alors comment on fait ? Heureusement qu’ils ont des paniers de la Croix-Rouge et des Restos du cœur pour manger, explique Charlotte. Et pour l’eau et l’électricité, on fait une cagnotte pour les aider. »
Vakhtang a le permis, mais n’a pas de voiture pour se déplacer. Toute la famille est condamnée à rester enfermée dans la maison toute la journée. « L’ennui, c’est affreux pour eux. Il n’y a pas de réseau téléphonique, pas d’internet, ça te fait péter les plombs. Comme ils ont peur de déranger, ils n’osent pas toujours nous demander de l’aide quand ils n’ont plus rien à manger. »
Mais pour certains, les Géorgiens, on s’en passerait bien. Après seulement deux jours, les policiers ont débarqué dans le hameau pour relever les identités de la famille de Vakhtang. « Ils ont été dénoncés par des gens du coin, lance Chloé. Certains ont eu peur. On nous a dit qu’on ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde. Déjà qu’à Laborie, on est considérés comme les marginaux du coin… »
La mairie de Castelnau a aussi reçu des pressions de la préfecture et de certains habitants inquiets. Charlotte poursuit :
Ils y sont désormais accueillis les mercredis après-midi et les vacances scolaires.
« On veut apprendre à lire,écrire et parler français »
« En Ariège, nous avons beaucoup d’amis. Ils sont très gentils. C’est un super département », poursuit Vakhtang, les mains serrées sur sa tasse de café. Après une première demande d’asile refusée, la famille Solomnishvili a apporté de nouveaux témoignages au dossier pour prouver le danger qui les guette en Géorgie. Sans même savoir si la seconde demande d’asile était acceptée ou non, la préfecture a délivré un OQTF (Obligation de quitter le territoire français). La préfecture a également émis un ordre de signalement de la famille dans le système d’information de l’espace Schengen, pour les empêcher de revenir dans l’ensemble du territoire européen durant deux ans.
En attendant, Charlotte, Chloé et d’autres les aident encore et toujours pour déposer de nouveaux recours administratifs, retardés à cause du confinement. Des « petits trucs » pour gagner quelques semaines. Le temps pour elles de se retourner et de faire appel à d’autres associations pour envisager la suite.
Si la France leur délivre des papiers, la famille envisage d’acheter la maison à Laborie. « Je veux surtout que l’on puisse apprendre à lire, à écrire et à parler français. Et ensuite, j’aimerais travailler et devenir chauffeur », raconte Vakhtang.
« Tout de suite, le courant est hyper bien passé avec eux. Ça a créé des trucs cools de les avoir rencontrés », sourit Chloé. « C’est vrai. Leur histoire a fédéré tout le monde. On se retrouve beaucoup plus ensemble, c’est super agréable. Et en plus, ce sont de supers voisins, ajoute Charlotte. On a vraiment appris à mieux se connaître entre habitants à Laborie. On est devenus copains grâce à eux. »
Clément Villaume