Melissa Gingreau fait partie du collectif Bassines Non Merci. Les actions contre les chantiers de méga-bassines d’irrigation, alimentées par les nappes phréatiques, font boule de neige. Pour les faire passer en force, l’État joue la répression.
L’âge de faire : À la suite de la manifestation des 29 et 30 octobre sur le chantier de la bassine de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, quatre participant·es ont été placé·es sous contrôle judiciaire. Un manifestant blessé par des tirs de LBD a été arrêté dans sa chambre d’hôpital pour être mis en garde à vue. Vous avez quant à vous été convoquée il y a quelques jours pour une audition libre à la gendarmerie. Comment cela s’est-il passé ?
Melissa Gingreau : Nous étions 7 convoqués sur plusieurs jours, à Niort et à Parthenay. Nous sommes tous restés sur la même position : « Je n’ai rien à déclarer. » C’était plutôt cordial, et il y avait de petits comités de soutien pour chaque personne convoquée. Mais cela s’inscrit dans une volonté de réprimer rapidement le mouvement. On sait qu’il y a eu une circulaire du garde des sceaux en ce sens. De notre côté, le mouvement prend de plus en plus d’ampleur. Des collectifs se montent un peu partout, des groupes nous contactent, par exemple, dernièrement, dans le Limousin. Ça prend des proportions au niveau national, mais aussi européen. La presse de Suisse, de Belgique, ou encore des États-Unis avec le New-York Times, fait écho à nos actions. On est dans une lutte emblématique sur l’accaparement de l’eau. Les bassines ont été actées au Grenelle de l’eau, l’an dernier. Si ça passe chez nous, ça se passera ailleurs.
Pourquoi les bassines sont-elles un enjeu aussi fort pour vous ?
C’est une solution court-termiste et un choix sociétal de modèle agricole. Ce qui est soutenu, c’est d’irriguer du maïs pour l’export. C’est pour ça que la Confédération paysanne est à nos côtés. On est ensemble pour développer un autre modèle agricole, avec des petites fermes. On pourrait choisir des variétés de maïs qui ne nécessitent pas d’irrigation, et mettre les vaches à l’herbe plutôt que de les nourrir au maïs.
Parmi les agriculteurs qui défendent les bassines, tous ne cultivent pas du maïs pour l’export. Certains ont des fermes en polyculture…
Quelles que soient les pratiques des agriculteurs concernés, ça n’enlève pas l’injustice en termes de partage de l’eau. Une centaine de paysans vont être raccordés à seize bassines, soit 5 % des agriculteurs de la plaine nortaise. C’est une injustice entre agriculteurs, puisque 90 % d’entre eux, sur le territoire, sont non-irrigants. Une injustice également entre irrigants, car en période de restrictions, seuls ceux qui seront raccordés à la bassine pourront irriguer. Sans compter que l’on va pomper dans les mêmes nappes phréatiques que pour l’eau potable et la préservation des milieux naturels. Et c’est financé à 70 % par de l’argent public ! Les seize bassines des Deux-Sèvres coûtaient à la base 60 millions d’euros, et ils demandent une rallonge. Ce n’est pas soutenable de donner autant d’argent à un si petit nombre de personnes.
Vous avez lancé une campagne d’appels téléphoniques des entreprises impliquées dans les chantiers. Comment ça se passe ?
Des personnes ont pris contact avec des entreprises. Elles ont eu parfois de longs échanges avec le standard. Le but est d’informer, expliquer les choses. Il y a eu aussi une petite mobilisation en Vendée, devant l’entreprise Charpentier. Notre volonté, c’est que les entreprises prennent conscience de leur responsabilité et des conséquences de ces chantiers.
Localement, le sujet divise-t-il la population ?
Dès la première enquête publique, 400 personnes se sont exprimées, et 70 % étaient défavorables. Il y a cinq ans, quand la lutte a démarré, on était 1 500 aux manifs. Maintenant, on est 7 000. Et un réseau s’est formé, avec 150 organisations qui nous soutiennent partout en France. L’organisation nationale de la CGT est avec nous, par
exemple.
Mais les choix politiques ne vont pas dans le sens de ce que veut la majorité de la population. En Vienne, quelques jours après notre mobilisation d’octobre, l’État a signé le protocole pour la création de 30 bassines. Il n’entend absolument pas notre demande de moratoire et d’un véritable débat public. La FNSEA (le syndicat agricole majoritaire, Ndlr) fait du lobbying à fond. C’est tout un système agroalimentaire qui est soutenu.
Les arrestations et procès marquent-ils selon vous une inquiétude de l’État face à l’élargissement de votre mouvement ?
Le week-end des 29 et 30 octobre, il y avait des hélicoptères, tout un attirail d’armes, juste pour protéger un terrain où il n’y avait rien, les engins étaient partis ! Ils ne voulaient pas qu’on touche au symbole, mais un de nos cortèges a quand même réussi à pénétrer dans une bassine.
On a déposé tous les recours juridiques possibles, mais ils ne sont pas suspensifs. Ils devraient suspendre les constructions le temps que la justice fasse son travail. À partir du moment où on ne veut pas nous écouter, on n’a plus que la désobéissance civique pour faire face au passage en force. Dans ce contexte d’urgence climatique, on ne peut pas se permettre de faire ces ouvrages, dont on ne sait même pas s’ils pourront être remplis avec le niveau catastrophique des nappes phréatiques.
Recueilli par Lisa Giachino
Photo : DR.