Les ressourceries s’appuient sur l’économie du don, aujourd’hui menacée par la montée du réemploi lucratif et le « verdissement » de l’industrie. Ces lieux rendent pourtant des services environnementaux et sociaux précieux. Reportage en Haute-Provence.
Du café, des croissants, et un peu de timidité. Ce matin, les salarié·es de la Ressourcerie de Haute-Provence, à Château-Arnoux Saint-Auban, reçoivent des entreprises locales : l’antenne du groupe Loxam, qui loue des engins de chantier, l’agence d’intérim Proman, le garagiste d’en face… C’est un « café des ressources », un moment de rencontre qui peut ouvrir des pistes pour les personnes en insertion professionnelle. Petit à petit, les langues se délient.
Mme Saindou retrouve son aplomb et demande au garagiste, avec un grand sourire, s’il embauche des femmes. « Plus volontiers qu’un homme », répond-il très sérieusement. La responsable de Loxam, encourageante, raconte qu’elle est partie de pas grand-chose et vante l’envie de travailler, en mode « quand on veut, on peut ». Les salarié·es en insertion sont là, en principe, pour deux ans maximum.
Difficulté à mener jusqu’au bout une formation ou à trouver un emploi, accident de la vie, besoin de faire le point… Les raisons d’occuper un poste en insertion sont multiples. Pour y faire face, un accompagnement social et professionnel est proposé par l’équipe permanente.
« J’ai fait le CM2, je m’débrouille
pour parler français »
Le café bu, c’est l’heure de la visite. On commence avec Mathias, le chauffeur, et Wassim, qui l’aide sur les tournées de ramassage. Mathias voudrait conduire des poids lourds. Moustafa et Mohamed sont à la réception : « On prend, on trie, on note. » Une partie des vêtements collectés dans les conteneurs verts seront vendus sur place, mais il y en a de telles quantités que la majorité partira chez un grossiste.
Mme Saindou affine le tri des vêtements, fixe les prix et met en rayon. Elle tient aussi la caisse. « J’ai pas le diplôme, j’ai fait le CM2, je m’débrouille pour parler français », dit-elle. Basma était prof d’arts plastiques en Tunisie, a travaillé pour la télévision et dans l’animation… Elle vient d’arriver à la ressourcerie parce qu’avec un enfant en bas âge, ses diplômes et pas la nationalité française, elle ne sait plus quelle direction choisir pour trouver une situation stable. Patricia s’occupe des bibelots et de la vaisselle, qu’elle présente par lots ou par pièces individuelles, « pour que ce soit attractif en magasin ». À 55 ans, elle refuse de se précipiter sur le premier boulot venu : « Je veux trouver quelque-chose où j’ai plaisir à travailler. J’aime la vente, c’est un engrenage intellectuel, psychologique, affectif. » M. Mauro, le garagiste, la verrait bien vendre ses voitures…
Après avoir travaillé dans l’industrie, la vente, la boulangerie et comme ouvrière agricole, Véronique peaufine quant à elle son projet : devenir brocanteuse spécialisée dans la décoration. « Je fais les vide-greniers, je crée quelques trucs en verre pilé. »
« Un temps de deuil avant de passer
à un autre projet »
Au rayon électronique, Matteo, la vingtaine, explique que les appareils sont testés, nettoyés, mis en rayon ou envoyés au recyclage. Michel, bénévole, confie : « Au début, je voulais tout garder, je trouvais que tout avait de la valeur. Mais quand vous avez besoin d’une pièce pour réparer, vous ne la trouvez jamais. L’industrie ne nous aide pas, les câbles sont tous différents ! »
Matteo a souhaité créer son entreprise, puis a renoncé. À cause de problèmes de santé, il sait maintenant qu’il veut travailler depuis chez lui. Le reste est encore flou… « Il
faut un temps de deuil sur un projet avant de passer à un autre », souligne Nathalie, conseillère en insertion. En stage d’immersion chez M. Mauro, Kevin va peut-être enchaîner avec une formation de carrossier en alternance.
« Créer de l’emploi et de la convivialité, insérer des personnes » : les ressourceries s’appuient sur l’allongement de la durée de vie des objets pour mener un travail social, souligne Catherine Mechkour-Di Maria, secrétaire générale du Réseau national des ressourceries et recycleries, qui regroupe près de 200 structures. « Autour gravitent des habitants, autant bénévoles que salariés. Cela permet à certains de reprendre langue avec le collectif. Nos lieux préfigurent le monde de demain, qui devra être convivial, solidaire, sobre. Les objets sont très puissants pour faire comprendre la surconsommation. Quand vous voyez une pyramide de ballots de textiles, vous comprenez tout de suite le problème de la fast fashion », poursuit-elle.
Le Réseau des ressourceries
monte au créneau
Mais la raréfaction des ressources et la prise de conscience des consommateurs aiguise maintenant l’appétit des industriels. Le Réseau des ressourceries s’inquiète pour l’avenir du réemploi solidaire. « Nous faisons face à trois adversités, résume Catherine Mechkour-Di Maria. Il y a d’abord le réemploi lucratif : des marques et des chaînes de grande distribution proposent des bons d’achats pour des produits neufs, en échange des vieux objets des gens. Ça pousse à la consommation, et ça détourne des objets des ressourceries ! Ensuite, il y a la marchandisation générale. Depuis 2013 et Vinted, tout se vend, tout s’achète, la culture du don régresse, surtout pour les objets de valeur. Enfin, le soutien de l’État n’est pas à la hauteur des enjeux environnementaux. Sous prétexte qu’une toute petite partie des contributions des industriels aux filières Rep* est réservée à l’économie sociale et solidaire, il se désengage du financement de nos investissements. Il nous dit d’aller voir les éco-organismes, qui sont gérés par les industriels ! On ne trouve pas ça normal. »
Lisa Giachino
* Responsabilité élargie des producteurs.
Photo : La Ressourcerie de Haute-Provence, comme 200 autres en France, donne une nouvelle vie aux objets. © L’ÂDF