La chance de la chanson du mois, c’est d’être assez récente pour que son auteur nous en parle. Fredonnez « Esperanza l’Aranesa », parions qu’au moins une personne autour de vous la reprendra, sans même savoir d’où lui vient cet air. Qu’est-ce que ça fait à André Minvielle, que sa chanson soit tant reprise dans les chorales militantes ? « Ça me fait penser que Marc Perrone est un génie », répond-il en arguant que la musique est sans doute ce que les gens retiennent d’abord, et en encensant le compositeur. Un grand collecteur ! Son histoire est extraordinaire. Fils d’immigrés italiens, il jouait de la guitare et un jour, à la fête de l’Huma, il a vu des musiciens cajuns à l’accordéon diatonique. Il s’y est mis, et il est parti collecter avec son magnéto, parce qu’il n’existait pas de partition pour cet instrument », raconte André qui a, lui aussi, mis les questions de transmission, d’écrit et d’oralité au cœur de son travail. « Le rythme de cette chanson est propice à une cumbia, une mazurka ou une autre danse traditionnelle. On peut étirer le poème. Elle est écrite façon créole », précise le parolier, grand explorateur de « faune éthique ».
Sur un air familier, les minorités
Sur cette « musique de collecteur », donc, cet air qu’on a l’impression « d’avoir toujours connu », André a écrit en occitan. En gascon et même en aranais, précisément. D’une visite au val d’Aran pour interviewer des locuteurs de l’occitan local, c’est notamment de sa conversation avec la serveuse du restaurant où il avait atterri, qu’il composa cette chanson, sorte « d’hymne au val d’Aran ». « Esperanza tout court, c’est la musique de Perrone. Quand je chante, c’est Esperanza l’Aranesa », résume-t-il. Elle aurait pu s’appeler “je me rappelle” », ajoute le chanteur. Car c’est tout l’enjeu de l’oralité, que de compter sur les mémoires pour perdurer. Alors que la serveuse lui racontait que les enfants du coin connaissent tous cinq langues, Esperanza l’Aranesa raconte l’interdiction de certains parlers. Et puis, c’est « un hymne aux minorités, sachant qu’elles nous gouvernent aussi », dit Minvielle, rappelant au passage une de ses chansons sur les vers de terre. « Ce sont les choses que l’on ne voit pas. C’est comme l’histoire du chasseur et du lapin. C’est raconter l’histoire des plus faibles et non pas des plus forts, aller chercher des infos, ce qu’on ne nous apprend pas à l’école. »
« Le goût de l’accent »
Esperanza est d’« une gaieté déchirante », pour Minvielle. Tout y évoque la rue, la transmission par le langage – y compris le porte-voix qu’il avait dans sa grosse caisse le jour de l’enregistrement, faute de micros en nombre suffisant. « Je voulais faire penser qu’on était devant un estaminet. » La chanson fourmille de références au parler local, bien qu’André ne cache pas son rapport « un peu bricolé » à l’occitan. « Calendreta », l’alouette, connue « comme quelqu’un qui n’a pas de mémoire », fait allusion au fait de compter sur les souvenirs de l’autre pour ne pas oublier. « Le souffle et le jeu sont attachés au fond du puits », poursuit le couplet : allons « détacher une histoire chargée, faire sortir le souffle épique et le goût de l’accent, faire entendre une langue au plus près possible des anciens, car les nouveaux parlent bien la langue, mais n’en ont pas la peau ». Choristes d’un peu partout, rassurez-vous. Sans connaître un mot d’occitan, vous pouvez entonner Esperanza l’Aranesa et l’écorcher un peu. André dit même : « On peut la massacrer, à condition que ce soit avec enthousiasme ! »
Lucie Aubin
Quelle version écouter ?
Sur l’internet mondial, on conseillerait celle d’André Minvielle disponible ici. Minvielle le “vocalchimiste” y improvise et scate avec plaisir, sur les notes d’accordéon de Lionel Suarez.
Les paroles :
Pren lo pòrta-votz
Cap a gaucha cap a dreta,
Pren lo pòrta-votz
Shens vergonha calandreta.
L’alen e lo jòc
Estacats au hons deu potz
Patchic e patchòc
Deu costat de Santa Crotz.
Pren lo pòrta-votz
Per anar cercar paratge
Canta au pòrta-votz
Per anar aus emponts d’atge
Sus los caminaus
De l’arrua tà la hont
Contes comunaus
De l’arriu dinc a l’empont.
Soi anat dab la vesina
Dançar cumbia campesina
L’aranesa una latina
Parla gascon alegria…
Minoritats en barralhas
A boca de nueit arrajan
Quan las vitas s’acabalhan
A hum de calhaus parpalhan