Ma rue est en travaux. Voilà cinq ans que ma rue est en travaux. J’exagère à peine. Installation de la fibre, entretien des canalisations, réfection des façades. En ce moment, un grand chantier est en cours juste à côté pour permettre l’allongement de la ligne de métro.
Quand je prends le volant, il y a toujours des travaux à un endroit différent. De quoi pester quand je suis sur l’autoroute, limité à 90 km/h malgré la dîme payée à Vinci. Et de quoi avoir le temps de réfléchir, quand je suis dans un bouchon au milieu de nulle part, parce que telle route doit être élargie, la chaussée pas assez lisse, l’entrée de ville trop dangereuse, le pont trop étroit, et là c’est les travaux pour le tram, là il faut ajouter une voie sinon ça bouchonne les deux mois d’été… Tiens, ce champ de panneaux photovoltaïques ? Était-il là, la dernière fois que je suis passé ? J’exagère à peine. Partagez-vous mon impression ? Est-ce une réalité, que nous vivons de plus en plus dans un environnement perpétuellement en travaux ?
Normalement, un chantier a un début et une fin. C’est toujours le cas, mais quand les chantiers s’enchaînent ? Normalement, un chantier permet, à terme, d’améliorer le cadre de vie. Mais quand cet enchaînement n’a pas de fin ? Et bien ceux à qui le chantier doit bénéficier, finalement, vivent dans un chantier perpétuel.
Normalement, l’exception est exceptionnelle, non ? On prend donc sur nous, même quand on ne comprend pas bien les tenants et les aboutissants de cette exception. De toute façon, ça ne durera pas. D’ailleurs, la « crise », depuis les années 80, qui a justifié le tournant de la rigueur, a-t-elle duré ? Et les mesures policières d’exception pour lutter contre le terrorisme, dès les années 90, ont-elles duré ? Nous parle-t-on encore de l’utilisation du QR-code, quatre ans après la pandémie exceptionnelle du Covid ? Ah oui, pour les JO à Paris. Mais les JO ne sont-ils pas exceptionnels ?
Toujours est-il que nous vivons une situation politique « exceptionnelle », et ça justifie des choses bizarres qui ne vont pas dans le sens de la démocratie. Me semble-t-il, à moins que je sois déboussolé ?
Quand l’environnement change trop vite, on est déboussolé. Imaginons que nous changeons d’appart’ parce qu’on a détruit la tour dans laquelle on habitait depuis toujours, pour y construire une zone d’aménagement concerté. Ça arrive. Logiquement, il faut un temps pour atterrir, c’est humain. Espérons que nous ne soyons pas entrés en chantier perpétuel, qu’il soit environnemental ou politique, au risque d’être trop déboussolés pour être lucides.
Exemple : cet été, j’ai eu la chance inouïe d’observer, dans l’obscurité, deux lucioles en vol. Deux petites boules vertes à deux mètres du sol, silencieuses, décrivant des boucles. Peut-être en pleine parade nuptiale ? L’instant était magique. Ma première réaction a été de penser que c’était des drones…
Fabien Ginisty