D’où viennent les sapins de Noël ? Beaucoup arrivent du Morvan, une région rurale située en Bourgogne. Des habitants rassemblés au sein du Collectif du Morvan dénoncent cette culture industrielle, et voient le sapin de Noël comme « symbole de la colonisation du monde rural ». Entretien avec leur porte-parole Muriel André-Petident.
L’âge de faire : Quelle est l’ampleur des monocultures de sapins de Noël dans le Morvan ?
Muriel André-Petident : La production annuelle sur le territoire est estimée à 1,2 million de sapins, pour une superficie de 1 500 hectares cultivés. Cette culture n’est pas nouvelle, mais elle prend une ampleur grandissante d’année en année. Cela fait 5 ans qu’on alerte sur cette question. Maintenant, quand vous traversez le Morvan, vous avez ces grandes monocultures grillagées, c’est moche, déprimant. La plupart des agriculteurs du massif sont éleveurs. Certains labourent des prairies pour se mettre à la culture de sapins de Noël. Mais la plupart des plantations sont le fait de quelques gros pépiniéristes d’ampleur nationale, à commencer par Naudet. Il y a aussi certains céréaliers de l’Yonne voisine qui achètent ou louent des terres pour y planter du sapin.
Vous dénoncez la pollution qu’implique cette culture.
La pollution n’est pas seulement visuelle. Il faut savoir qu’un sapin subit au moins 9 traitements par an. Ces pesticides en quantité polluent la terre, puis l’eau. Dans certains villages entourés de monocultures, les gens ne boivent plus l’eau du robinet.
Le comble, c’est qu’il existe quelques producteurs bio, mais ils n’y a pas de filière pour valoriser leur travail : au final, leurs arbres se retrouvent noyés dans la masse des sapins industriels. On a donc de grandes surfaces polluées, qui en plus, sont grillagées pour protéger les arbres des chevreuils : voyez les dégâts en terme de biodiversité.
Ces sapins sont destinés à être vendus jusqu’à Paris, Lyon… Quelles sont les retombées économiques pour le territoire ?
Il y a bien quelques emplois liés à l’année, mais la grande majorité de l’emploi, pour la « récolte », est saisonnier. Cet argument de l’emploi est systématiquement brandi, mais si on voulait vraiment développer l’emploi dans nos campagnes, il faudrait commencer par arrêter de fermer les services publics de proximité, soutenir les fermes nourricières et tous les métiers liés à l’aide à la personne, dont nous avons grandement besoin, plutôt que des emplois difficiles, précaires, et liés à une industrie polluante.
Dans une tribune, vous parlez de colonisation du monde rural. Le mot n’est-il pas un peu fort ?
On l’avait en tête sans jamais oser l’utiliser. Là, on s’est dit « allez, on l’emploie », parce que ce à quoi on assiste depuis des années, c’est à une dépossession toujours plus grande du territoire dans lequel on vit. L’évolution du territoire, dictée par l’extérieur, ne profite pas à ses habitants. Pour le logement, il y a une pression causée par la hausse de la demande en résidences secondaires qui fait que ceux qui vivent à l’année ont du mal à se loger. Pour nos paysages, on a parlé des monocultures de sapins de Noël, mais il y a aussi les coupes rases des feuillus, remplacées par des résineux. On a lutté contre l’implantation d’une méga-scierie il y a dix ans, là on lutte contre un projet de méthaniseur, il y a l’agrivoltaïsme qui arrive… Et en parallèle, on voit reculer nos services de santé, nos transports en commun, notre autonomie alimentaire. Je pense que cette situation de dépossession est partagée par d’autres territoires ruraux.
Recueilli par Fabien Ginisty.
Interview préparée avec
Juliette, Lola, Esteban et Chloé, élèves de la classe média
du collège de Volx.