En octobre dernier, le tribunal administratif a donné raison aux paysans du Val de Turdine et au collectif Quicury contre l’implantation d’une zone logistique à 40 km de Lyon. Une nouvelle victoire écologique pour ceux qui se battent pour un avenir paysan et vert dans la campagne lyonnaise.
« Ne doutez jamais qu’un petit groupe de gens réfléchis et engagés puisse changer le monde. En fait, c’est toujours comme cela que ça s’est passé. » Cette citation de l’anthropologue Margaret Mead, les militants de l’Ouest lyonnais ont décidé d’en faire leur leimotiv.
En fin d’année, le collectif des paysans du Val de Turdine et de l’association Quicury ont pu sabrer la bière bio : le tribunal administratif de Lyon a invalidé le projet de construction d’une plateforme logistique de 19 737 m² porté par le promoteur Argan pour le compte de la Smad, une entreprise spécialisée dans la dialyse.
Adieu les camions et le béton : à Sarcey, les terres sur lesquelles les collectifs avaient fait pousser du blé vont rester des terres, pour l’heure.
Une bataille de paperasse
« Espoir de vie et de biodiversité », « Bienvenue en Quicury »… Sur zone, les affiches sont toujours là. « Elles commencent à s’effacer à force, il va falloir les changer », plaisante un bénévole. Dans le même temps, les militants ont réussi à faire reculer un projet d’extension d’Intermarché à quelques kilomètres. Deux ans auparavant, le géant ID Logistics avait également laissé tomber une potentielle installation dans ce secteur. Il devait alors s’installer sur 20 hectares.
Autour d’un café, les militants nous exposent quelques leçons de ces victoires. La clef de la réussite ? La patience et l’appétence pour la documentation juridique d’abord. « On a dû éplucher 1000, peut-être 2000 pages de dossier », souffle Robert Lhomme, alias « Bob ». Le moustachu l’admet volontiers : « Les gens ne vont pas s’intéresser à tout ça, c’est tellement chiant à lire. » Reste que, organisés en commission, le travail a été fait. Forte de 400 membres à jour de cotisation, l’association Quicury, appuyée par le collectif paysan, a pu compter sur un noyau dur de 50 militants actifs.
L’action s’est appuyée sur des profils variés et, parfois, pointus. « On a un ancien chauffeur routier, ancien conseiller aux prud’hommes. Forcément, ça aide, sourit Bob. Il faut travailler les dossiers, car il y a forcément des erreurs. »
Ainsi, l’association a fait tomber le précédent projet sur des détails. « On avait mis en avant d’autres solutions d’installation que celles proposées par les entreprises, commente Alain Chizat, de Quicury. C’est ce qui a manqué pour eux. » Selon eux, il est toujours possible d’attaquer le plan local d’urbanisme, le permis de construire ou l’étude environnementale. Le juge du tribunal administratif a ainsi donné raison aux militants sur ce dernier point. Ils avaient attaqué l’arrêté préfectoral autorisant l’exploitation en janvier 2020. Tenaces. « Au final, on ne fait que faire respecter le droit », note François Suprin, viticulteur à la retraite et membre du collectif paysan.
Casser le béton pour planter les graines de la raison
À présent, la lutte se joue sur un deuxième volet, plus idéologique.
Depuis plusieurs années, ils mènent une bataille contre les projets des élus du secteur. Ces derniers essayent de pousser de (grosses) entreprises à s’installer, quitte à bétonner des terres agricoles. Leur argument : tirer profit de l’arrivée de l’A89, une autoroute inaugurée en 2013, et ramener de l’emploi dans une zone où le chômage est important.
Face à cet argument béton, les collectifs prônent un développement équilibré et respectueux de l’environnement. Leur but ? Que l’ouest du Rhône devienne le grenier de la Métropole de Lyon. Ils misent notamment sur la loi Egalim prévoyant d’alimenter la restauration collective avec 50 % de produits locaux, et 20 % de bio. Pour eux, le secteur a son rôle à jouer. Les nouveaux producteurs comme les entreprises de transformation peuvent créer de l’emploi. Reste à convaincre la population de cette idée.
Pour ça, les moyens sont nombreux. Au début du premier collectif, en 2019, Quicury a d’abord organisé des réunions publiques pour informer sur les projets des élus locaux. Depuis, les manifestations s’enchaînent, sur le temps long. En mai 2020, les collectifs ont planté les « semis de la révolte » sur une parcelle vouée à disparaître. La moisson faite, ils ont organisé le « marché de la raison » en automne 2021. Pains, pâtes à pizza… L’événement a permis de faire goûter les produits d’une révolte, désormais bien enracinée.
Pierre Lemerle