Fin mars, on se prépare à une nouvelle grande manif internationale pour la défense de l’eau dans les Deux-Sèvres. Contre les mégabassines, la bataille est rude. Entre la criminalisation assumée des mouvements écolos, des menaces de mort, des violences et une surveillance accrue des militant·es, la répression bat son plein. Malgré cela, la convergence des luttes risque bien d’avoir lieu…
La guerre de l’eau continue. On parle même des Deux-Sèvres dans le New York Times, ça ne rigole plus ! En France et dans le monde, la lutte contre les mégabassines dans le Marais poitevin, ces énormes réservoirs d’eau destinée à alimenter l’agriculture intensive et productiviste, fait causer d’elle. Et il y a de quoi. Tout d’abord par le sentiment d’injustice qu’elle soulève.
Désormais, la répression policière est à peine dissimulée. En mars 2022, on avait déjà retrouvé sous un tas de feuilles une caméra de surveillance braquée vers la porte d’entrée de la maison du père de Julien Le Guet, le porte-parole du collectif Bassines non merci, qui accueille des réunions de militant·es du mouvement. Le matériel d’espionnage avait été estimé à plus de 40 000 euros. Probablement appartenant à la cellule Déméter, chargée de surveiller des « actions de dénigrement du milieu agricole », mise en place par le ministère de l’Intérieur avec le concours de la FNSEA.
En janvier dernier, Julien Le Guet a cette fois découvert un traceur GPS sous l’essieu avant-gauche de son camion. Le dispositif permet de localiser en temps réel le dangereux monsieur que l’on avait rencontré il y a quelques mois sur une barque dans le marais (voir L’âdf n° 170).
Des méthodes dignes des pires services secrets pour surveiller et intimider les activistes, pardon, les « écoterroristes », selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, ou les « séparatistes » pour la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté, Sonia Backès. L’État réfléchirait d’ailleurs à dissoudre le mouvement des Soulèvements de la Terre, qui inquiète les Services de renseignement.
La valse des procès
Contrôles inopinés, balades en hélico, les policiers ont le budget ! Lors de la dernière grande manifestation à Sainte-Soline, fin octobre, les forces de l’ordre ont même interpellé plusieurs manifestants. Un mois après, on leur avait déjà collé un procès, avec interdiction de se rendre dans les Deux-Sèvres (et donc de lutter) pendant le délai imparti. Ils ont aussi été condamnés à deux à trois mois de prison avec sursis. L’un des cinq inculpés n’était même pas à l’audience, blessé par un tir de LBD. De la bouche même de la préfète, ils n’étaient pas les plus virulents, et il n’y a aucune preuve qu’ils aient pu dégrader une bassine, mais il fallait « donner un exemple ». Un « procès évidemment politique » selon les militant·es. Deux autres procès ont eu lieu à La Rochelle et Niort début janvier pour des faits qui datent de septembre 2021. « Encore aujourd’hui, les bassines sont protégées. Celle de Sainte-Soline, il y a des gendarmes en permanence. Nos impôts financent donc de la surveillance de biens privés », commente Pierre*, un habitué des manifs anti-bassines.
On protège les bassines, pas les personnes
Par contre, lors de tentatives d’intimidations de militant·es : plus personne. Pas assez de gendarmes pour protéger tout le monde, rétorque-t-on. En rentrant d’un footing, l’anti-bassines Valentin Gendet, qui est également le neveu de Julien Le Guet, a été violemment molesté devant son domicile. Frappé à terre, ses agresseurs l’ont insulté d’« enculé d’écolo de merde », et ont hurlé : « Il est beau l’anti-bassine. » Le problème est que pour l’instant, la plainte est restée sans suite et l’enquête est au point mort. « Il s’agit ici d’interroger le choix fait par l’État entre la protection d’un dispositif qui met en danger la ressource en eau et la protection de personnes contre les violences physiques, mais aussi la préservation de ce qui est essentiel à la vie. Des millions pour protéger un cratère, combien d’agents et de temps pour enquêter sur mon agression ? L’avenir nous le dira », dit-il.
Forcés de se masquer
« Voir des images de types avec la gueule violette à cause des tirs de LBD, voir des familles, des vieux, des élus se faire gazer alors qu’ils manifestent pacifiquement, c’est hyper violent, poursuit Pierre*. Lors d’un pique-nique, on s’est fait dégager, on a été filmés et beaucoup ont été convoqués comme s’ils étaient de grands criminels. Ça dépasse l’entendement. La violence, je la trouve disproportionnée et je pense qu’elle “radicalise” beaucoup d’entre nous. Avant, on n’aurait jamais pensé masquer son visage, ruser pour contourner des barrages de flics, s’attendre à être convoqué à la gendarmerie. Maintenant, on agit comme des repris de justice. C’est une conséquence de la violence exercée par l’État sur nous. Et des scènes auxquelles on assiste qui ne devraient pas arriver. » Mais le vent tourne. Philippe Béguin, un irrigant « repenti », a rejoint la lutte il y a quelques
mois. Il a même prêté son champ, situé à côté d’une bassine, pour que ses nouveaux camarades puissent établir un camp de base. Le Conseil d’État a également jugé cinq bassines « illégales ». Et on attend des camarades du monde entier les 25 et 26 mars dans le Poitou. Avec toujours le même leitmotiv : pas une bassine de plus ! Et no bassaran !
Clément Villaume
* Prénom modifié.