Le lait bio peut être acheté moins cher que du conventionnel au producteur. Valérie Chaillou Février est productrice à Mervent en Vendée, et administratrice à la SAS Biolait. Elle nous explique.
L’âge de faire : Comment est fixé le prix du lait payé aux éleveurs ?
Valérie Chaillou Février : Il est très difficile de se baser sur les coûts de production des éleveurs et éleveuses comme la loi Egalim a la prétention de le faire. Toutes les fermes n’ont pas le même historique, pas les mêmes façons de travailler, donc pas les mêmes charges. C’est la loi de l’offre et de la demande qui fixe les prix. Le cours du lait au jour le jour est défini par la valeur du lait « spot », celui qui est disponible à un instant T sur le marché. Son prix peut être très volatil.
Pour sécuriser nos ventes à Biolait, on cherche au maximum à contractualiser avec des transformateurs et distributeurs pour négocier des prix garantis sur une durée. Cela nous donne de la visibilité. Pour 2022,
nous estimons un prix moyen du litre de lait de 0,44 euro.
Le lait conventionnel est-il payé plus cher aujourd’hui ?
V.C.F : La production laitière s’effondre avec la disparition de l’élevage. On manque de lait. Le marché mondial est tendu et devenu très fluctuant. Quand un pays comme la Chine ferme ses frontières en raison de la Covid par exemple, il y a des répercussions fortes sur le prix du lait. Depuis plus de 6 mois, le lait « spot » est à plus de 0,43 euro le litre et il peut monter jusqu’à 0,50 euro au cours d’une journée. Certains conventionnels touchent donc actuellement davantage que des producteurs bios.
Le marché du lait bio n’est-il pas, lui, en pleine expansion ?
V.C.F : Il y a eu l’effet confinement : les gens se sont rués sur les produits sains, en circuits courts. Mais depuis un an, ils sont retournés au moins cher, le rythme d’augmentation de la consommation de produits bios que l’on connaissait à deux chiffres a stagné, voir diminué. Cette année, nous allons devoir vendre 15 % de notre lait bio dans des filières conventionnelles. On cherche alors à le valoriser sous d’autres signes de qualité. On assiste à une substitution de la consommation de produits bios vers des laits conventionnel estampillés « Haute valeur environnementale », sans OGM, lait de pâturage. Tous ces sigles semblent pleins de bon sens pour le consommateur, mais il se fait avoir. Le logo AB est délaissé, alors qu’il est le seul à certifier une production sans pesticides.
Et côté production ?
V.C.F : La filière bio s’est développée à outrance sans aucune concertation ni anticipation. Des vagues de conversions ont augmenté les volumes de production. À Biolait, les fermes ont accepté de diminuer leurs volumes pour accueillir de nouveaux collègues. Mais avec 300 millions de litres de lait, nous ne collectons qu’un tiers du lait bio en France. Nos efforts n’ont pas eu suffisamment d’incidence sur le volume global produit.
Les autres collecteurs de lait vendent une grosse partie de lait conventionnel et une petite partie de lait bio. Depuis 2 ou 3 ans, ils déclassent du lait bio en le vendant dans leurs circuits conventionnels. Mais ils ont rétribué le lait bio plus cher que ce que Biolait proposait à ses adhérents, en piochant 1 ou 2 cents par litre de lait conventionnel. Ils ont ainsi maintenu l’impression d’un marché du lait bio porteur. S’ils avaient été transparents dès le départ, nous aurions vu plus vite le déséquilibre entre l’offre et la demande, et la filière aurait pu réagir. Maintenant, le marché est excédentaire.
Quels impacts pour le développement de la bio ?
V.C.F : Les conversions sont au point mort. Pour la première fois, on entend que certaines fermes veulent repasser en conventionnel. Plutôt des structures qui avaient été moins préparées au passage en bio. Pour se convertir, il faut changer de repères, viser l’autonomie alimentaire, accepter de faire moins de lait par vache. Si la réflexion et le système ne sont pas assez aboutis, le prix alléchant des collecteurs incite à repasser
en conventionnel.
Pourrait-on se retrouver un jour avec le lait bio moins cher que le conventionnel ?
V.C.F : Ce qu’il faut, c’est indexer les prix payés aux producteurs aux coûts générés par leur système de production. Le prix de la dépollution des eaux, celui de la santé, de la disparition de la biodiversité doivent être reportés sur les prix conventionnels dans les rayons de supermarchés. Ils seront largement plus élevés que le bio, et la consommation suivra.
Recueilli par Marie Gazeau
Marie Gazeau est journaliste et agricultrice dans les Deux-Sèvres. Elle a publié récemment Une vie près de la terre, Une plongée dans le quotidien d’une agricultrice d’aujourd’hui. Un livre sensible qui se lit facilement, comme un journal de bord à la fois poétique et politique. First Editions, 2022








