L’économiste Jean-Marie Harribey revient sur l’injustice, ou plutôt les injustices, contenues dans le projet de « réforme » des retraites.
Que la réforme passe par le recul de l’âge légal de la retraite ou par l’allongement de la durée de cotisation, il s ’agit pour le gouvernement de remettre en cause la tendance séculaire à la réduction du temps de travail, ici envisagée sur la vie.
Alors que se sont multipliées les crises ces dernières années, on pourrait se demander si garder l’objectif de réduire le temps de travail pour contribuer à la quantité et la qualité de l’emploi est opportun. Oui, car en amont de la retraite, c’est la qualité du travail et de ses conditions ainsi que ses finalités qui sont en jeu.
En effet, comment alléger la peine des premiers et des premières de corvée sinon en réduisant la durée du travail de ceux qui croulent sous la charge et sont obligés de faire face à l’urgence, comme à l’hôpital, à l’école, les Ehpad, dans le bâtiment et ailleurs ?
Comment amorcer une diminution durable du chômage sans réduire la durée du travail et donc soustraire l’emploi à la prétendue nécessité de recourir à une croissance désormais inatteignable et indésirable ?
LES FEMMES ENCORE LES PLUS LÉSÉES
Pourquoi reculer l’âge de la retraite à 64 ans, demain peut-être à 67 ou 70 ans, alors qu’une grande part des 60-64 ans sont déjà hors emploi et que 3 millions de chômeurs en catégorie A sont rejetés durablement de l’emploi, et près du double en intégrant les catégories B et C ?
Par quel miracle ou tour de passe-passe reculer l’âge légal de la retraite créerait un seul emploi nouveau ? Enfin, par quel artifce technocratique néolibéral peut-on considérer que 9 % de taux de chômage est le seuil partageant une situation économique favorable et une situation défavorable pour renforcer ou alléger la dureté des conditions imposées aux demandeurs d’emploi ? Va-t-on nous dire bientôt qu’un taux de chômage de 9 % désignerait le plein emploi ?
La réforme Macron s’inscrit donc dans l’agenda néolibéral instauré partout en Europe. A contrario de la tendance séculaire à la RTT (réduction du temps de travail) collective, il existe une politique patronale du temps de travail désastreuse. Dans la zone euro, là où le taux de chômage est faible, la proportion de temps partiel est souvent forte (comme en Allemagne) ; là où le taux de chômage est plus élevé (comme en France) la proportion de temps partiel est plus faible. Une corrélation négative très élevée existe donc entre ces deux variables.
Le temps partiel est une façon déguisée et injuste de réduire le temps de travail en ciblant, c’est-à-dire en discriminant, une population précise, plus particulièrement les femmes. Maintenir l’exigence d’une RTT collective sur le long terme est une façon de dire non au recul de l’âge de la retraite et à un retour à des temps anciens.
Jean-Marie Harribey, Économiste atterré
Illustration : Pixabay