Dans les quartiers Nord de Marseille, des citoyen·nes ont réquisitionné les locaux d’un McDonald pour venir en aide à une population démunie, menacée par la faim et abandonnée des pouvoirs publics.
« Le président a dit que nous étions en guerre. On l’a pris au mot, et on a réquisitionné ce McDonald », assume Salim Grabsi, militant du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM). Le restaurant, situé dans le quartier Saint-Barthélémy, dans le Nord de la citée phocéenne, est devenu début avril une plateforme logistique pour venir en aide aux plus démuni·es, encore fragilisé·es par le confinement : certain·es travaillaient au noir et sont donc privé·es de toute ressource, d’autres bénéficiaient de la cantine scolaire gratuite pour faire manger leurs enfants…
« On a eu des remontées de terrain, de plus en plus pressantes. Franchement, même moi, j’ai eu du mal à le croire, mais c’était bien la réalité : des gens étaient en train de mourir de faim, à Marseille, en France, 6e puissance économique mondiale ! »
Il fallait donc agir, et vite. Le SQPM s’est rapproché des ex-salarié·es du McDo de Saint-Barth’, placé en liquidation le 12 décembre 2019. Depuis cette décision de justice, qui a fait suite à une longue lutte sociale [lire L’âge de faire n° 134], les portes de ce fast-food étaient restées closes. La décision a été prise de réinvestir le lieu, avec ou sans l’autorisation de la multinationale du hamburger. Cela se fera d’ailleurs sans son accord. Qu’importe : « On est dans une situation d’urgence, et c’est un outil précieux pour faire face à la crise : il y a deux chambres froides, une zone de stockage, un “drive”… Est-ce que McDo osera déposer plainte contre nous ? Pour l’instant, on ne s’en préoccupe pas. Les pouvoirs publics nous disent qu’on est dans l’illégalité, mais on leur répond que eux aussi le sont, pour non-assistance à personnes en danger. »
10 000 personnes nourries
« Hier, j’ai regardé ma montre en rentrant chez moi, il était minuit-trois, rapporte Kamel Guemari, ex-directeur et leader syndical du McDo de Saint-Barth, également à l’origine de cette opération. Car le soir, avant de partir, il faut tout ranger, tout désinfecter… »
Au lancement de l’action, des ami·es, professionnel·les de santé, sont venues leur donner un coup de main pour mettre en place les gestes barrières et des méthodes de travail adéquates afin de minimiser les risques de transmission du virus. Depuis, les bénévoles se relaient tout au long de la journée, en évitant d’être plus de dix à la fois dans les locaux pour respecter la « distanciation sociale ».
Emmaüs leur a livré 3 tonnes de nourriture, le reste provient des dons de particuliers. 12 donnes de vivres et de produits d’hygiène ont ainsi pu être distribuées entre le 5 et le 11 avril, le volume grimpant à 20 tonnes la semaine suivante.
« On n’en a jamais douté, mais on a encore pu vérifier que la solidarité existe réellement dans ces quartiers-là. Certains habitants ont réussi, ont des commerces, des entrepôts, etc., et ils nous donnent des marchandises. C’est grâce à ça qu’on peut permettre aux gens de survivre. » Salim Grabsi
Une cagnotte en ligne a également été lancée pour récolter des fonds (1) Aucune aide de l’État, pas plus que de la Région, de la Métropole ou de la ville. Aucun geste, non plus, en provenance du groupe McDonald.
Une demande exponentielle
Une trentaine d’associations, présentes dans les quartiers les plus défavorisés de la ville, envoient régulièrement leurs demandes aux squatteurs du McDo Saint-Barth. Ces derniers préparent les paniers, les bénéficiaires passent ensuite au « drive » pour récupérer leur paquetage sans avoir à descendre de leurs voitures. Pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, ce sont les associations qui profitent du « drive » pour récupérer les colis et aller les livrer à domicile.
« Ça va être impossible de ne rester que la journée, on va bientôt devoir être là 24 heures sur 24 », prévoit Kamel Guemari. À peine sa phrase terminée, il file pour préparer des paniers. Salim Grabsi, lui, demande à une amie de prendre la voiture pour partir à la recherche de sacs, tout en donnant des repas. Tout fonctionne à la débrouille, à la solidarité, et au dévouement des militant·es.
Cette initiative permet déjà de nourrir environ 10 000 personnes. Mais les demandes pourraient augmenter encore dans les jours qui viennent.
« Cette crise fait voler en éclat les artifices de la politique sociale dans nos quartiers. Aujourd’hui, le roi est nu, et on voit clairement que nos quartiers sont totalement livrés à eux-mêmes. C’est dramatique, mais ici les gens n’attendent plus rien des pouvoirs publics, qui les ont complètement abandonnés. Ils comptent donc sur nous, c’est une énorme responsabilité, et ça nous fait un peu peur… Notre grande inquiétude, c’est de savoir si nous pourrons tenir jusqu’à la fin. » Salim Grabsi.
Nicolas Bérard