La crise du covid-19 a mis en évidence les limites d’une économie tournée vers le tourisme de masse. C’est l’opportunité pour habitants, associations et élus de militer contre ce modèle et de se réapproprier le centre-ville. Mais avec le retour timide des touristes, ils craignent que leurs voix soient de moins en moins audibles.
Des voisins, du commerce de proximité et une vraie vie de quartier », c’est ce que veulent retrouver un grand nombre d’habitants du centre-ville de Barcelone, qui ont vu leurs lieux de vie disparaître sous les marées de touristes. En 2019, l’aéroport de Barcelone enregistrait le chiffre vertigineux de 275 millions de passagers. Chiffre qui sera divisé par trois l’année suivante à cause de la pandémie de Covid-19.
Comme partout dans le monde, le secteur touristique a chuté à pic, entraînant avec lui une grande partie de l’économie de la capitale catalane. Les rues désertes, les boutiques de souvenirs vides et les hôtels fermés : après plusieurs mois d’arrêt brutal, la ville commence aujourd’hui à reprendre son souffle. Et plus que jamais, la voix des habitants s’élève pour demander un changement de modèle.
Les célèbres Ramblas au cœur du changement ?
Repenser la ville, c’était déjà l’une des promesses d’Ada Colau, élue maire de Barcelone en 2015. Depuis, malgré les quelques mesures mises en place par la nouvelle équipe municipale, l’activité touristique n’a pas reculé.
Pas de quoi décourager le jeune élu, qui a hérité d’un dossier pharamineux : la réforme de l’axe le plus célèbre de la ville, les Ramblas. Cette promenade qui relie la place de Catalogne à la mer est un passage obligatoire pour les touristes. À tel point qu’aujourd’hui, les locaux l’évitent afin de ne pas se retrouver mêlés à la foule.
Depuis 2016, l’association Amics de La Rambla – qui regroupe commerçants, habitants et institutions – milite pour une refonte de cette avenue dont ils sont amoureux. « Nous voulons une Rambla équilibrée, aussi attractive pour le public local que pour les visiteurs », détaille Xavi Massip, coordinateur de l’association pour qui le cœur de la réforme devrait être une offre culturelle accessible à tous.
Le chantier devrait enfin démarrer en 2022 pour un budget total de 45 millions d’euros. Le but : « retrouver le caractère citoyen des Ramblas » en donnant plus de place aux piétons et en réduisant l’offre touristique. L’aménagement le plus visible sera la disparition des kiosques à souvenirs et à glaces hors de prix.
Vivre dans le centre, « un acte de résistance »
Selon une étude réalisée en 2020 par la mairie et le cabinet Gesop, sur les 652 logements disponibles le long des Ramblas, seulement 226 sont des habitations permanentes, soit 569 habitants à l’année qui ont survécu à la hausse des prix des loyers et à la marée touristique. « Vivre ici, c’est un acte de résistance », souffle un jeune en achetant son café.
La mairie, elle, cherche à repeupler l’hyper centre de la ville en achetant un maximum d’immeubles pour en faire des appartements publics. Elle a récemment fait l’acquisition de 70 habitations à rénover avant de les mettre à disposition. Mais aucune sur les Ramblas à cause de prix trop élevés. « Encore une fois, le secteur public a très peu de leviers face au secteur privé », déplore l’adjoint.
« Le problème, c’est les gens avec beaucoup d’argent qui décident d’avoir un appartement dans l’avenue pour n’y passer qu’un mois de vacances par an », enchaîne Xavi Massip. Les logements saisonniers sont également pointés du doigt comme un des principaux facteurs faisant augmenter les prix. Depuis l’arsenal de mesures restrictives prises par la mairie à partir de 2017 – comme l’interdiction de créer de nouveaux logements de vacances dans les zones sous tension –, tout un réseau d’appartements illégaux s’est développé dans la ville.
« Vouloir avoir à la fois des touristes et des locaux est pour moi une erreur de calcul. Ce n’est pas un robinet qu’on peut ouvrir et fermer à volonté. Et les locaux finissent par disparaître. » Daniel Pardo est membre de l’Assemblée de Quartiers pour la Décroissance Touristique (ABDT), un regroupement de plusieurs associations locales qui, ensemble, veulent amener une critique éclairée sur le tourisme massif qui profite au secteur privé. « Au fil des années, et surtout après les attentats des Ramblas en 2017, puis avec la pandémie, les mentalités on changé. Je dirais qu’il y a aujourd’hui consensus pour dire que plus de tourisme n’est pas synonyme de prospérité. Mais sa décroissance ne fait pas l’unanimité non plus. » La réforme des Ramblas, Daniel Pardo n’y croit pas et dénonce un écran de fumée déjà vécu. « Il y aura des effets positifs, c’est sûr. Mais ça reste superficiel. » Dossier à suivre, maintenant que les affaires reprennent et que les touristes ont regagné leurs quartiers au cœur de Barcelone…
Juliette Cabaço Roger