Ça vous fait saliver, un étalage de chair sanguinolente ? Des animaux élevés et traités par la grande boucherie de l’industrie ? Et vous trouvez pas ça un peu bizarre de manger des morts pour être bien en vie ? Rassurez-vous, je ne suis pas un fada du boulgour à la châtaigne venu vous faire la leçon. Celui qui vous écrit ici-bas est lui-même un égorgeur de poulets repenti, qui a déjà planté un couteau dans le cou de dizaines de volatiles durant sa jeunesse. Aujourd’hui pourtant, je me pose sérieusement la question de manger encore de la viande.
Pour le bien-être animal d’abord. On se doit de virer les abattoirs industriels, les violences animales et les élevages hors-sol intensifs, sans accès à l’extérieur, qui se foutent du vivant.
L’environnement surtout. L’élevage est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre, défonce les forêts et consomme énormément d’eau et de céréales. Il faut dire que l’on mange de la viande à tire l’haricot ! Dans le monde, on en « produit » plus de 300 millions de tonnes par an, et on tue près de 2000 animaux par seconde. On gagnerait bien évidemment à manger directement les graines et les légumes que l’on fait pousser au lieu de les faire passer avant dans la panse de nos ruminants. Mais si demain, ça s’arrête ? Bon d’accord, la bête pète, mais quand elle broute, elle ouvre et entretient les paysages. Ça paraît fou, mais une prairie fleurie abrite davantage d’espèces qu’une forêt tropicale. Un écosystème plus riche que l’Amazonie ! Un pâturage herbager capte même davantage de CO2 qu’il n’en émet.
L’animal est un formidable camarade de la biodiversité. Il transforme l’herbe en caca, le début de la vie. S’il n’y a plus d’élevage, fini les haies qui servent de refuges à nos insectes et nos petits piafs. Si on ne les tue plus, on ne les fera plus naître non plus… Et il y aura quoi à la place des prés ? Du maïs intensif pour gaver les unités de méthanisation ?
Et puis le goût. Dieu que c’est bon de redécouvrir le délice du cru. Le plaisir de la cueillette. On se sent tellement bien après avoir savouré une assiette végétale. Quelques fleurs, des légumes du jardin, tout plein de couleur, c’est quand même joli et ça met en appétit. Mais par pitié, foutez-moi en l’air ces steaks de soja brésilien suremballés dans du plastoc !
Manger ou non de la barbaque devient une dissert de philo. « Tu sais ce que c’est que la vie, quand tu sais ce que c’est que la mort. Ça te fait te regarder toi-même, me lance Julien, un pote éleveur de moutons et de bœufs dans les Vosges. On reconnaît la valeur, la fragilité de la vie. Quand ma bête part à l’abattoir, c’est pas un moment de plaisir, je te promets… » Être éleveur ne s’improvise pas. C’est avoir les deux pognes dans les poches, dans son parc, à observer ses bestiaux. Connaître les petites habitudes de celle-ci et le sale caractère de celui-là. Vivre ensemble à hauteur de bête. « Tu réfléchis comme la bête réfléchit, tu sais comment te placer pour bouger ton troupeau, tu sais leur parler, ça s’explique pas, ça se vit. Un troupeau, ça se sent. Comme un sixième sens… »
On n’a jamais aussi peu vécu avec les animaux. Pourtant, on n’a jamais eu autant d’avis sur eux. L’être humain ne serait-il pas juste une bestiole comme les autres : un bout de viande avec une âme ?
Je ne sais pas si je mangerai encore de l’animal un jour. Chacun fait comme il le sent. Rien n’est tout blanc ou tout noir. Interroger notre manière de manger, c’est mettre en lumière nos incohérences, les accepter. Et questionner nos consommations. Alors on fait quoi : on arrête l’avion et/ou le jambon ?
Clément Villaume