Le projet de Nouvelle route du littoral, à La Réunion, est à l’arrêt. Mais le gouvernement veut faire redémarrer les travaux, en puisant dans le fonds de relance économique post-Covid.
À La Réunion, la nouvelle route du littoral (NRL) sera-t-elle terminée un jour ? Ce chantier pharaonique, qui représentait initialement un investissement de 1,6 milliard d’euros pour environ 12 km de route, pourrait coûter près du double. Il devrait en tout cas décrocher la palme des kilomètres de bitume les plus chers de l’histoire. Même le viaduc de Millau, qui détenait jusque-là le record avec 160 millions d’euros du kilomètre, fait pâle figure à côté du projet réunionnais.
Selon le maître d’ouvrage – la région Réunion et son président Didier Robert (divers droite) –, cette 2×3 voies était néanmoins une absolue nécessité. Alors que la route actuelle était à la fois très engorgée et dangereuse car construite en pied de falaise, la NRL allait enfin régler ces problèmes. Mais les promoteurs ont eu les yeux plus gros que le ventre : la route du littoral doit être construite en mer, en parallèle de la route existante. Elle se constitue d’une succession d’ouvrages, dont un viaduc long de 5,3 km et des digues sur 6,7 km. Si la construction du viaduc est à peu près terminée, celle des digues, en revanche, rencontre de sérieux problèmes, notamment sur le plan de l’approvisionnement en ressources naturelles…
18 millions de tonnes de roches
Dès le lancement des travaux, les opposant·es avaient, outre le désastre écologique que représente un tel projet, pointé ce risque. Nous en parlions d’ailleurs dans L’âge de faire dès juillet 2014 (n° 88). Pour réaliser ce chantier, il faut des roches, beaucoup de roches : 18 millions de tonnes environ, notamment pour stabiliser les digues. Or, l’île de l’océan Indien n’était pas forcément en mesure de les fournir… Au moment de répondre à l’appel d’offres, Bouygues et Vinci, les deux entreprises retenues pour réaliser la NRL, avaient balayé ces craintes. Les deux géants du BTP promettaient d’ouvrir les carrières nécessaires. Mais ils se sont finalement heurtés à la réalité, même si l’État a pesé de tout son poids pour leur faciliter la tâche (en leur accordant par exemple des dérogations aux règles de protection des espèces menacées). Aucune carrière n’a donc à ce jour pu être ouverte, notamment en raison de l’opposition de la population et de la réglementation entourant ces sites. Faute de ces roches, le chantier a dû être mis à l’arrêt. En novembre dernier, la Région lançait donc une procédure de résiliation du marché, en raison de l’incapacité des entreprises à fournir les matériaux nécessaires et à respecter ses engagements.
Le Covid sauvera-t-il Bouygues et Vinci ?
Alors que Bouygues et Vinci s’apprêtaient à être écartés de ce chantier titanesque, l’État a décidé d’intervenir. « Après tout, si le plan de relance nous permet d’achever une route aussi importante pour le développement de La Réunion que la route du littoral, je pense que nous aurons fait œuvre utile », a ainsi déclaré Bruno Le Maire, le 28 juillet à l’Assemblée. Après d’âpres négociations dont le résultat n’a pas encore été totalement dévoilé, la Région aurait promis une rallonge d’une quarantaine de millions d’euros. Le gouvernement, de son côté, se serait engagé sur une enveloppe encore beaucoup plus conséquente pour pouvoir relancer le chantier. « Notre interprétation, c’est que l’État met la Région – pourtant seul maître d’ouvrage – sur la touche, et vient au secours de Bouygues et Vinci pour les sauver de ce mauvais pas », dénonce François Payet, président d’ATR-Fnaut (Alternatives Transport Réunion). Alors que les entreprises ont été défaillantes et qu’un nouvel appel d’offres aurait dû avoir lieu, le gouvernement vient en effet à la rescousse de ses majors du BTP, qui restent ainsi titulaires du marché.
L’utilisation des fonds du plan de relance pose aussi de nombreuses questions sur la légalité de la manœuvre. Selon François Payet,
« l’État va puiser dans un plan qui est normalement destiné à des réalisations nouvelles ou à relancer des chantiers qui ont été stoppés par la crise du Covid. Qui plus est, ce fonds est censé financer des projets qui sont en conformité avec les préoccupations environnementales. Ça ne correspond en rien au chantier de la NRL : c’est un projet ancien, qui n’est pas du tout écologique, qui n’a pas été stoppé par la crise sanitaire mais à cause de la défaillance des entreprises sélectionnées ! »
À plus long terme, les opposant·es déplorent que la construction de cette route monopolise tous les fonds disponibles, empêchant du même coup le développement de moyens de transports alternatifs à La Réunion, parfois surnommée « l’île aux voitures ».
Nicolas Bérard
Numéro 154 – Septembre 2020
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Dossier 6 pages : Psychiatrie, c’est grave docteur !
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