Depuis plusieurs jours, les hôpitaux français agonisent et les soignants peinent à freiner l’épidémie du coronavirus. Dans une clinique de soins d’Indre-et-Loire, la pandémie fait apparaître à sa surface, les défaillances dans la gestion de son personnel. Avec elle, des patients inquiets pour l’avenir et des agents hospitaliers surchargés.
« Agent hospitalier, c’est un travail ingrat » dit Céline (1), gouvernante de la clinique. Lors de ce court entretien d’embauche, une question est posée. « Avez-vous déjà travaillé dans le secteur hospitalier ? » Nous sommes un vendredi pluvieux, deux jours avant que l’Etat ne se décide à fermer les restaurants. Le gérant accepte ma candidature. Rendez-vous le lendemain, à 7h.
Il est 5h50 lorsque le réveil sonne. Il faut se dépêcher de rejoindre la clinique située à 25 minutes de mon domicile. Les rues sont vides, les commerces fermés et une étrange ambiance s’installe dans les rues. Le grand portail devant la clinique est ouvert, uniquement pour le personnel.
Poste de polyvalent, la fuite en avant
Être agent hospitalier de service (ASH), c’est savoir tout faire. Faire en sorte d’assurer la propreté constante d’une clinique répartie sur deux étages. Cela signifie aussi préparer les petits-déjeuners, les repas du midi, du soir et leur desserte. C’est aussi entretenir un lien régulier avec les patients, les installer quand il faut, préparer la salle à manger, servir ou encore faire la plonge.
Chaque jour, les agents sont affectés sur des postes différents. Tous ces postes correspondent à des numéros : 3, 101, 7. Malgré la terminologie masculine, les agents hospitaliers sont en majorité des femmes. À temps plein, certaines enchaînent 50 h par semaine, voire plus en fonction des besoins. En tout, une vingtaine d’agents hospitaliers sont en contrat. Certaines sont en arrêt maladie, d’autres sur le point de quitter le métier. Lila, proche de la retraite, me prévient. « Je voulais être aide-soignante. Si tu peux partir, fais-le. »
Le coronavirus devient le sujet numéro 1. Ces femmes, aussi mamans, s’inquiètent sérieusement pour leurs enfants, sans écoles, ni nounous. « Qui va garder les enfants ? » se demande Béatrice. « Comment peut-on les faire garder par des personnes qu’ils ne connaissent pas ? Et en groupe, en plus ! » surenchérit Sophie. D’autres commencent à faire des stocks de nourriture par peur de manquer. Sophie se moque de sa collègue qui lui montre des photos de sa fille au supermarché « Mais qu’est-ce que tu vas faire de toutes ces pâtes Lilianne, ça sert à rien ! »
Le travail commence. Chaque heure correspond à une tâche bien définie. Après avoir mis une tenue blanche et des chaussures en plastique douloureuses, il est temps de commencer le ménage des ascenseurs. À 7h20, Lilianne arrive. « Il faut que tu remplisses toutes les carafes de tous les étages et que tu les distribues.» Une tâche qui n’est pas mentionnée sur la fiche de poste. L’odeur des produits d’entretien est omniprésente. Ça rend maniaque. Mon chiffon rose repasse sur chaque surface. Nommé bio-nettoyage, le ménage des chambres est protocolaire : un chiffon pour les toilettes, un chiffon pour le lavabo, un autre pour la chambre. Des produits différents doivent être utilisés. Un seul mouvement, de haut en bas.
Je rentre dans une chambre du deuxième étage. Je croise ce visage plusieurs fois par jour, désormais familier. La surdité de cette dame âgée me fait hausser le ton : « Bonjour Madame, je viens faire un petit coup de ménage, ça ne vous dérange pas ? » « Faîtes, faîtes ! Alors on a plus droit aux visites, c’est ça ? » demande-t-elle. « Oui, mais vous savez, c’est pour le bien de tous les patients, pour vous protéger en quelque sorte. On essaie de pas ramener le virus de l’extérieur. » Avec les principes de précaution mis en place dans le secteur de la santé, les patient·es auront désormais pour seul contact, les médecins, infirmières, aides-soignant·es et agent·es hospitalier. Un isolement, très mal vécu.
Protection, obsession
Alice une aide-soignante, presse le pas dans les couloirs encore éclairés aux néons. « Les masques, ils sont où ? » « Il n’y en a plus, même pour les soignants répond-elle. Je ne sais pas comment on va faire. » Une heure plus tard, la gouvernante fournira deux masques par personne, aux agents hospitaliers. « Le côté bleu à l’extérieur » répète-t-elle. Les fameux masques chirurgicaux doivent être gardé maximum deux heures par jour. J’en aurai donc deux pour huit heures de travail, deux fois moins que nécessaire. Il fait chaud, les filles ont du mal à le supporter. « J’ai la tête qui tourne ! » se plaint Rosie. De la buée se colle aux verres des lunettes.
Des brancards du Samu arrivent progressivement. De nouveaux patients. Sont-ils contaminés ? Nous n’en sommes pas informés. D’où arrivent-ils ? Ont-ils des symptômes ?
Certaines chambres sont en isolement, sans que l’on sache pourquoi. Une grande table avec plusieurs combinaisons est posée devant l’une d’entre elles. Une fois enfilé, le masque est impératif, tout comme les gants. À changer, une fois sortie. J’entre. « C’est pour le repas, Monsieur ! » Un homme au crâne rasé s’empresse de remettre son masque. Il est très fatigué. Mieux vaut ne pas s’attarder. Je pose le plateau et soulève le couvercle avant de m’éclipser. « Bon appétit ! » Il faut être rapide. Mais le temps d’enlever tout l’équipement, je ralentis l’équipe.
Dans la matinée, des rumeurs autour du confinement circulent. Sophie, en poste depuis 20 ans, s’énerve.
Mais comment on va faire avec ce virus ? On est pas assez protégées ! Les ASH, on est en bas de la chaîne et on prend des risques ! On est déconsidérées !
Mal à l’aise, le gérant semble réaliser l’étendue des problèmes à venir. Moins de personnel et une épidémie en progression. Pendant la pause du midi les filles commencent à monter en pression. « J’avais pas peur, mais là je psychote. » dit Marine. Elle enchaîne « Mais au moins, si on est confinées, ça sera toutes ensemble. Avec qui je vais me marrer, sinon ? »
(1) Tous les prénoms ont été modifiés.
Ana Rougier
Dessin : Genguiz Gokaltay