Quand on débute en agriculture, sans connaître le métier et souvent sans terre, on peut choisir d’être entrepreneur à l’essai, sur un espace-test agricole. On est alors conseillé et accompagné au sein d’un réseau. Reportage.
Valentin montre à Véronique une petite feuille grignotée sur le bord. Le verdict de la formatrice est sans appel : une limace s’est attaquée aux jeunes plants. À part ça, tout va bien. Dans les serres, radis, salades et courgettes ont bonne mine. Valentin peut être rassuré.
À 27 ans, il fait ses premiers pas de maraîcher sur les terres du lycée agricole de Carmejane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, sous l’œil attentif de Véronique, formatrice en maraîchage bio au CFPPA (1). Il n’est pas encore exploitant maraîcher, seulement entrepreneur à l’essai sur un espace-test agricole (ETA) permanent.
Ce dispositif lui permet de découvrir le métier tout en étant accompagné.
« Je vais pouvoir me perfectionner en situation professionnelle, et me rendre compte, sans trop de pression, de la charge de travail que le métier implique».
« Cela permet de se donner du temps en limitant les risques et tout en étant couvert », complète Véronique, qui a participé à la création, en 2014, de l’espace-test de Carmejane.
Ce lieu, qui accueille un entrepreneur à la fois, a été équipé en serres, système d’irrigation et tracteur, via des financements du Conseil régional. L’activité sur l’espace-test peut durer trois ans au plus. À terme, Valentin pourra décider de s’installer dans la vallée de la Durance, comme il le prévoit aujourd’hui, ou pas.
« On met tout ce petit monde en réseau »
Concrètement, le jeune homme est hébergé par Mosaïque, une coopérative d’activités et d’entrepreneurs : « Je suis partenaire commercial de cette société coopérative. J’émets des factures au nom de Mosaïque, je cotise à la MSA et je bénéficie d’une assurance responsabilité civile».
« Chaque fois que Valentin vendra des légumes, complète Véronique, l’argent ira sur un compte à Mosaïque. Il se rembourse, en notes de frais, de ses achats de terreau, paillage et semences. La première année, c’est compliqué de gagner sa vie, donc il faut être libéré des revenus».
C’est une des limites de ce système : pour être sélectionné sur un espace-test agricole, il faut bénéficier d’allocations chômage, du RSA ou d’autres ressources.
Dans le déroulé du test d’activité, on va travailler sur les coûts de revient, les prix de vente, les marges et donc la rémunération. Mais on est tous les mains dans le cambouis. On a plus de 70 entrepreneurs tous secteurs d’activités confondus. On met tout ce petit monde en réseau pour en tirer les meilleures collaborations.Stéphane Bersia, salarié de Mosaïque.
Ainsi Valentin a été mis en relation avec un food truck intéressé par ses légumes et a déjà des pistes pour vendre une quarantaine de paniers. En parallèle, il a commencé à chercher une terre pour s’installer : « Un référent de la coopérative m’a mis en contact avec le responsable de la Safer. C’est un avantage. L’espace-test apporte une légitimité, une crédibilité».
Véronique cite le cas de Marie qui a précédé Valentin sur l’ETA : « Elle est restée trois ans, à l’issue desquels elle a montré aux banquiers qu’elle savait produire des légumes. Ainsi, elle a pu obtenir facilement des prêts».
Des terres mises gratuitement à disposition
Autre décor, autre espace-test à Curel, dans la vallée du Jabron (04), Cassis et Corléone, deux magnifiques chevaux Merens, gouttent l’herbe verte de la ferme auberge de Danse L’ombre. « On est allés les chercher hier en camion. On est complètement gagas ! », confie Sophie.
Avec Pierre-Alexandre, ils ont été, eux aussi, sélectionnés dans le cadre d’un espace-test pour entreprendre leur activité maraîchère en traction animale. Le système est un peu différent puisqu’ils sont installés depuis janvier chez un particulier, Norbert Jouveau, qui met gratuitement ses terres à leur disposition, dans le cadre d’un prêt à usage de 3 ans reconductibles. Ils pourront rester définitivement s’ils le souhaitent.
« Quand on a rencontré Norbert, ça a été le coup de foudre, raconte Sophie.
Il ne voulait pas de gens qui travaillent avec des tracteurs. Et notre projet agroécologique lui a plu».
Pour Norbert, accueillir Sophie et Pierre-Alexandre, « c’est juste une façon de mettre en application mes convictions selon lesquelles la terre appartient à ceux qui la travaillent ».
Sur les terres de Danse L’ombre, deux serres de plus de soixante mètres de long, et une troisième plus petite pour la pépinière, promettent, pour les jours à venir, de beaux et bons légumes.
« On est un peu en retard, confie Sophie, mais heureusement, plein de copains sont venus nous aider. »
« Ce qu’on a fait, c’est plus proche d’une installation, renchérit Pierre-Alexandre. L’inconvénient, c’est qu’on a dû investir un peu plus tôt que prévu. »
Paysans tuteurs
Après avoir voyagé et travaillé tous les deux dans l’environnement, Sophie et Pierre-Alexandre ont voulu s’installer, non sans difficultés : « On s’est vite heurtés à la recherche de foncier. On se sentait perdus».
« À la chambre d’agriculture, avec un projet aussi original, ils disaient : “Attention !”. Finalement c’est l’Adear (2) du Var qui nous a accueillis et beaucoup aidés».
Les apprentis maraîchers ont suivi, avec cette association, une formation de onze jours appelée « De l’idée au projet », qui leur a permis de « réfléchir et d’avancer » sur le temps de travail, l’administratif, les labels bio, les installations en collectif, etc. Ils ont ensuite choisi l’espace-test « pour se former sur le terrain. »
« Et ça nous a beaucoup rassurés, ajoute Pierre-Alexandre. On sait qu’on n’est pas tout seuls».
Tous deux peuvent en effet compter – comme Valentin – sur le savoir-faire de Bruno et Florence Molling, un couple de maraîchers, qui jouent le rôle de tuteurs.
Ils nous ont rendu visite et on a parlé de tout : irrigation, matériel, calendrier, sélection des variétés…
Moralement, si on a un coup de mou, on sait qu’on peut les appeler.
Nicole Gellot
1 – Centre de formation professionnel pour adultes.
2 – Association de développement de l’emploi agricole et rural.
Ce papier est paru dans notre dossier “A nous la terre !” du numéro 131 (juin 2018) du journal L’âge de faire.
En vente ici au prix de 2 euros.Soutenez notre travail et notre indépendance en vous abonnant et/ou en abonnant vos amis.
Se réapproprier les terres agricoles… Et avec des copains en plus.
C’est un rêve pour certains, c’est devenu une réalité pour d’autres.
Partout en France, des groupes de paysans expérimentent; des associations et collectivités accompagnent les installations d’agriculteurs, loin des gros sabots de l’industrie agroalimentaire et immobilière.
À l’heure où on nous rappelle à coup de CRS qu’on ne peut pas planter nos carottes dans les jardins du gouvernement, L’âge de faire est allé récolter les fruits de la révolte agricole.
À vos fourches et vos binettes !
Sommaire du numéro 132 – Eté 2018 :
- EDITO : Grande campagne d’abonnements
- Théâtre au collège : « On rit à leurs blagues, on rêve avec eux »
- Morbihan : Le poète ferrailleur
- Islande : Paradoxes du renouvelable
- Syrie : Le féminisme du ROJAVA
- Spectacle : Il chante, elle signe
- Reportage : La Poste a algorithmé mon facteur
- Le guide de la construction en terre crue
- Actu : Répression à Bure
- Grrr ondes : Habiter un micro-ondes
- Alpes : Une marche contre les frontières
- Longwy : Histoire d’une « République populaire » de sidérurgistes
- Fiches pratiques : Tester une terre pour construire / Le frigo du désert