Conçues par l’association ATD Quart Monde, des entreprises pilotes créent des emplois utiles aux territoires, en CDI, adaptés aux compétences et aux souhaits de chômeurs longue durée. Une proposition de loi a été adoptée pour étendre l’expérimentation.
C ’est le résultat d’un « gros boulot de lobbying », a commenté Véronique Fayet, présidente du Secours catholique (1), l’une des organisations qui porte le dispositif des Territoires zéro chômeur de longue durée, initié par ATD Quart Monde. L’Assemblée nationale a adopté le 16 septembre une proposition de loi qui vise à étendre, pour cinq ans, cette expérimentation à 50 nouveaux territoires. Le texte devrait passer début octobre au Sénat. Dix territoires de 5 000 à 10 000 habitant·es, sélectionnés par le gouvernement, participent au test depuis 2007. L’association Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) souhaite qu’à terme, soit mise en place une troisième phase ouverte à tous les territoires volontaires. « Cela repose dans chaque cas sur des acteurs locaux, très engagés sur un territoire bien défini. », souligne Véronique Fayet.
L’autogestion s’apprend
L’idée se base sur le préambule de la Constitution française, selon lequel « chacun a le droit d’obtenir un emploi ». Il s’agit d’utiliser l’argent du RSA et des indemnités chômage de longue durée pour financer des postes de travail en CDI. L’association TZCLD explique qu’elle « expérimente une inversion de la logique d’offre et de demande d’emploi : la démarche part des compétences et souhaits des personnes, afin de produire autant d’emplois que nécessaire ». Les activités créées doivent répondre à un besoin local, ne pas faire concurrence aux entreprises existantes, et s’inscrire dans une vision sociale et écologique de l’économie. Un comité local, constitué d’acteurs associatifs, institutionnels et d’entreprises, organise le lancement du projet et vérifie que celui-ci respecte bien les règles. Des subventions, complétées par les bénéfices générés par les activités, financent les salaires.
Création de meubles en palettes, épicerie ambulante, nettoyage de l’intérieur des voitures… Dans notre n°128 de mars 2018, un reportage en Ille-et-Vilaine, à Saint-Ganton et Pipriac, montrait la diversité des activités possibles. Il mettait en évidence l’impact moral et financier, pour les salarié·es, d’avoir un travail stable, sans l’épée de Damoclès du CDD, et de se sentir utiles à la société. Il pointait aussi les difficultés de cette façon inhabituelle d’appréhender l’emploi : dans la plupart des cas, il n’y a pas de sélection des candidat·es ; et le fonctionnement prévoit une forte part d’autogestion : on ne trouve pas le même encadrement que dans les entreprises d’insertion. Or, l’autogestion s’apprend, et n’est pas toujours accessible à des personnes en proie à de grandes difficultés.
Crises de croissance
Avant le lancement, les premiers volontaires ont participé à la construction du projet et au choix d’activités utiles au territoire. Cette phase, qui a donné du sens au travail et de la cohésion collective, n’a pas été vécue par les personnes recrutées par la suite, ce qui a pu créer un décalage au sein des équipes. Or, certains Territoires zéro chômage ont grossi très rapidement pour se retrouver, au bout d’un an et demi, avec plus de 60 personnes aux activités parfois disparates. Problèmes de gestion du personnel, tensions au sein du groupe, manque d’accès à la formation et d’accompagnement social, choix par défaut d’activités pas toujours utiles, manque de moyens pour lancer les projets, locaux trop exigus… En mai 2019, le média Bastamag rapportait le cas du projet de Colombelles, dans la banlieue de Caen, qui trouvait un second souffle après avoir essuyé une grève, de gros conflits entre la direction et une partie du personnel, et beaucoup de désillusions (2).
Les territoires engagés sont suivis de près : un comité scientifique, ainsi que les inspections générales des finances et des affaires sociales, ont rendu leurs rapports. Les entreprises créées n’ont pas encore de modèle économique stable, et l’évaluation des coûts et bénéfices fait débat. À certains économistes qui dénoncent le coût « faramineux », selon eux, du dispositif, la sociologue Dominique Méda rappelle que les 18 milliards versés aux entreprises dans le cadre du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), dont les résultats en termes d’emplois créés sont très faibles au regard des montants engagés, ne font pas l’objet d’évaluations aussi tatillonnes. Au-delà des chiffres, l’association TZCLD souligne qu’il s’agit avant tout d’un choix politique et d’un projet de société : plutôt que de vouloir « améliorer l’employabilité individuelle », les Territoires zéro chômeur veulent « apporter des solutions collectives à la pénurie d’emplois ».
Lisa Giachino
1 – Le 18 septembre à Vauhallan, lors du lancement du Mouvement des cuisines nourricières.
2 – « Un an après son lancement, « Territoires zéro chômeur » a permis l’embauche de 600 personnes », de Simon Gouin, septembre 2018, sur Bastamag.net
Au sommaire du numéro 155
1 / EDITO 5G : le réfractaire à l’Élysée /
Railcoop, une coopérative pour relancer le train
3 / Théâtre dans les fermes jurassiennes
4 / 5 Portrait d’Une sage-femme à domicile / Reportage un repas dans le noir
6 / 7 / 8 Le reportage : à Loos-en-Gohelle, du charbon à l’écologie
12 /13 Le poster : les huiles essentielles essentielles !
14/15 Actus : cinquante nouveaux territoires zéro chômeur
16/17 Les lorgnettes : quand le Tour de France devient une obligation / Biodiversité au rabais dans le parc national de forêts
18 / 19 L’atelier : Au jardin / Couture & Compagnie / Cuisiner sans gluten / Le coin naturopathie /
20 / 21 Fiches pratiques spéciales instruments de musique : contrebassine et flûte de pan électrique.
Dossier 3 pages : Liberté, égalité, bonne bouffe !
La transition vers une agriculture écologique, distribuée en circuits plus courts, devient urgente. Dans le même temps, de plus en plus de personnes dépendent de l’aide alimentaire. Comment faire en sorte qu’une nourriture de qualité soit accessible à tous ? Rencontre avec des collectifs, des associations, des communes qui expérimentent une agriculture et une cuisine nourricières et solidaires.