Lancé par l’association ATD Quart Monde, le projet Territoires zéro chômage consiste à utiliser les financements du chômage longue durée pour subventionner des emplois utiles à la population, et adaptés aux personnes qui les occupent. Reportage en Ille-et-Vilaine.
Licencié à l’approche de la soixantaine, quand l’entreprise d’ambulances où il travaillait a fermé, Philippe Théaudin ne retrouvait pas de travail. « On m’a dit que j’étais trop âgé et qu’il aurait fallu que je repasse des diplômes. » Noëlla Garcia, 49 ans, n’a jamais été employée. « J’ai toujours été à la maison, à élever mes enfants et aider mon ex-mari qui tenait un garage. » Sa belle-sœur, Valérie Garcia, 40 ans, femme de ménage, ne travaillait plus, à la suite de difficultés avec son ancien employeur. Il y a encore un an, tous étaient chômeurs de longue durée (sans activité, ou très peu, durant au moins une année). Aujourd’hui, ils sont collègues. Eux, et cinquante autres ex-chômeurs de longue durée sur la centaine que comptaient les communes de Saint-Ganton et Pipriac, en Ille-et-Vilaine. Un miracle ? Simplement de la volonté. Celle d’un territoire et de l’association ATD Quart Monde, d’en finir avec la privation d’emploi.
C’est en 2014 que Franck Pichot, conseiller départemental et président du Point accueil emploi, propose de tenter l’expérience. « J’ai pris connaissance du projet Territoires zéro chômage d’ATD Quart Monde et me suis dit qu’il fallait l’essayer, raconte-t-il. On se situe entre deux bassins d’emploi, et le chômage est un peu plus élevé que dans le reste du département. » Le projet, lancé par l’association en 2011, consiste à subventionner des emplois pour effectuer des activités utiles, mais pas suffisamment rentables pour les entreprises. « En gros, on utilise ce que coûte le chômage de longue durée pour financer l’emploi, et ce qu’il manque, on le trouve par la facturation des services rendus », explique Denis Prost, chargé du projet d’ATD Quart monde sur le territoire. L’enveloppe s’élève entre 15 et 20 000 euros annuels par chômeur. Cela a été rendu possible par une loi votée au parlement pour les dix territoires expérimentaux.
« Ensuite, chaque territoire crée une entreprise pour employer les chômeurs et organiser la production », développe Denis. Le 1er janvier 2017, le projet donne naissance à l’entreprise Tézéa, qui prend domicile dans la commune de Pipriac. Son statut est associatif. Les premiers contrats de travail sont signés. Tous sont en CDI et rémunérés au Smic.
Créations en bois de palettes
« À Tézéa, nous sommes tous très polyvalents, rapporte Valérie Garcia. On a tous une activité principale dans l’entreprise, mais on est aussi amenés à bouger sur d’autres postes. » Pull à col roulé, pantalon à poches et chaussures de sécurité, cette mère de famille travaille la plupart du temps dans l’atelier de création en bois de palettes. Ici, tout le monde dit « l’atelier créa ». Celui-ci se trouve dans un grand hangar en tôle, à la sortie du bourg de Pipriac. Autour, des champs, entrecoupés de petites routes et de quelques talus. « On a une très bonne équipe en créa, poursuit Valérie. Nous sommes souvent trois, parfois plus. On fait des étagères, composteurs, paniers pour animaux et d’autres meubles. C’est selon les demandes des clients. » Sous le hangar, les piles de palettes usagées s’accumulent. Une salariée les démonte pendant que d’autres sont regroupées autour du meuble pour enfant en fabrication.
« Aucun d’entre nous n’avait fait ça avant, remarque l’un d’eux. Et si on m’avait dit que je ferais un jour de la fabrication de meuble, je ne l’aurais sûrement pas cru ! »
Création de meubles, entretien paysager, recyclerie, épicerie ambulante, les activités de Tézéa sont nombreuses.
« Il faut trouver de l’emploi adapté aux personnes, tant en termes de compétence que de santé, commente Denis Prost. L’éthique de Tézéa, c’est : “Vous avez une place dans l’entreprise, on vous prend comme vous êtes.”»
Depuis le départ, les chômeurs sont acteurs de ces choix. « Pendant deux ans, on se réunissait en petits groupes de travail pour voir ce que l’on voulait faire », se souvient Valérie. Les citoyens ont aussi été interrogés pour évaluer les besoins.
Autre contrainte : ne pas faire de concurrence aux entreprises du territoire. « On a par exemple une activité de nettoyage de voiture, qui a été mise en place sur proposition du garage, cite Denis. L’idée était de sous-traiter à Tézéa cette activité qui prend du temps aux mécaniciens. Nous proposons donc également un service de nettoyage pour les particuliers, mais seulement l’intérieur des voitures, pour ne pas concurrencer le supermarché, qui possède des rouleaux. » Le comité de pilotage local veille à la question de la concurrence. « C’est comme un petit parlement local, illustre-t-il. C’est lui qui fixe les règles. » Il est composé d’entreprises, d’administrations, d’élus, de salariés de Tézéa et de l’équipe projet d’ATD Quart monde. Selon le chargé de projet, l’implication des entreprises est primordiale dans le bon fonctionnement du Territoire zéro chômage : « On ne pourrait pas poursuivre si l’on faisait de la concurrence déloyale. Les entreprises ont donc obtenu une place importante dans le comité. »
« On se sent bien, on n’a plus de soucis d’argent »
En milieu d’après-midi, Valérie laisse ses collègues de la “créa palette” pour rejoindre l’atelier de nettoyage des voitures, situé de l’autre côté de la commune. Au volant de sa voiture, elle pense à ses trois enfants : « Ils sont plus heureux aujourd’hui. Ils voient que mon mari et moi, on se sent bien, qu’on a plus de soucis d’argent. » Son mari travaille aussi à Tézéa. « On a maintenant les moyens de leur faire plaisir, de leur acheter ce dont ils ont besoin. » Denis affirme que l’emploi des parents permet une meilleure scolarité des enfants : « Quand les parents sont au chômage, qu’ils n’ont pas le moral, les enfants sont affectés et ont plus de mal à travailler à l’école. Et puis il y une exclusion sociale en avouant que ses parents n’ont pas de travail, mais aussi du fait de ne pas pouvoir sortir ou aller en vacances. » Mais il n’y a pas que le gain financier qui contribue au bonheur des parents. « C’est aussi le fait d’avoir des collègues et la fierté de se dire qu’on est utile, constate Franck Pichot. On a rapidement vu les gens reprendre une dynamique sociale. »
Quelques voitures sont garées devant l’atelier de nettoyage. L’une d’elles a les quatre portes grandes ouvertes. Noëlla y passe l’aspirateur, tandis que Philippe astique. « Allons prendre un café », lance Noëlla, en allant chercher son thermos. C’est la pause. « Dans cette équipe, on s’entend vraiment très bien », assure Philippe. Créer une bonne ambiance de travail n’est pourtant pas toujours simple à Tézéa. « Contrairement à une entreprise classique, nous ne faisons pas de sélection, développe Denis. Nous sommes obligés de nous adapter à chacun et il y a des profils très variés. Par exemple, il y a des jeunes qui n’ont pas de culture d’entreprise et qui se disent qu’ils vont faire seulement ce qui leur plaît. Mais il faut bien faire le travail et quand c’est toujours les mêmes qui font les tâches difficiles, ça crée des conflits. Dans une entreprise ordinaire, ces personnes-là auraient pris la porte. Ici, on n’est pas dans cette logique-là. On a l’expérience à ATD que sur une longue durée, les gens peuvent changer. Et on les accompagne pour le faire. »
« Tézéa m’a permis de compléter mes trimestres »
À terme, le projet a pour objectif d’employer tous les chômeurs de longue durée, volontaires pour intégrer Tézéa. Mais l’entreprise se présente aussi comme un tremplin pour réintégrer le marché de l’emploi.
« Le but, c’est aussi d’aider les personnes à trouver ensuite du travail dans des entreprises classiques, explique le chargé de projet. Pour les jeunes, ça peut leur permettre de se faire leur première expérience qu’ils ont parfois tant de mal à trouver. »
Autour du café, les salariés parlent de leur avenir. Pour le moment, Noëlla ne pense pas à l’après Tézéa. Elle apprécie l’instant, ce tournant dans sa vie qui lui ouvre des possibles : « Depuis que je travaille, je sais que je peux faire plein de choses, dit-elle. J’aime beaucoup tenir l’épicerie le vendredi, mais j’adore aussi les travaux paysagers. » Valérie ne compte pas rester indéfiniment dans l’entreprise. « Peut-être que dès l’année prochaine je chercherai un autre emploi, annonce-t-elle. Ce qui me plairait, ce serait un métier dans la création, comme avec les palettes. » Quant à Philippe, il sera bientôt en retraite. « Tézéa m’a permis de compléter mes trimestres et je vais pouvoir partir le 30 juin prochain. » Mais l’ancien ambulancier ne souhaite pas une fin trop brutale : « J’aimerais obtenir un contrat de quelques heures ici. J’ai peur que le travail me manque. »
Benoît Vandestick
Sommaire du numéro 128 – Mars 2018 :
- EDITO : Quand on veut tuer son train, on dit qu’il a la rage
- Intérim : Un laboratoire pour précariser le travail
- Coopératives de jeunesse : Reportage à Loudéac, en bretagne
- Portrait: Marichuy, guérisseuse et candidate à la présidentielle mexicaine
- Conférences gesticulées : Le boom
- Reportage : En zone zéro chomâge
- Infographie : Anatomie du sport
- les actualités : #BalanceTonPorcNitrité
- Nouvelle rubrique : Grrr-ondes
- Exilés : des universités occupées
- Des animaux conscients de travailler
- Film : un doc sur la traction animale
- Fiche pratique : le Qi GONG
- Agenda et Petites annonces
Dossier 4 pages : Sport : dans quels buts ?
Difficile, par les temps qui courent, d’échapper au sport. Aux informations, dans la pub, jusque dans les discours officiels, on nous en vante les mérites. À tel point qu’on ose à peine poser cette question, pour le moins basique : « Est-ce que tout est vraiment bon dans le sport ? » L’âge de faire a chaussé ses baskets pour aller chercher des réponses…