Par Pierre Concialdi, économiste atterré,
Une récente étude de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) vient de chiffrer le budget nécessaire pour avoir un « niveau de vie minimum décent » et « participer à la vie sociale ». La méthode est novatrice. Elle a consisté à réunir des groupes de consensus représentant environ 200 ménages, pour les faire discuter et argumenter sur le contenu détaillé du panier de biens et services nécessaires pour mener une vie décente, dans un processus qui s’est étalé sur plus de deux ans. Cette démarche permet de dépasser le caractère conventionnel des seuils statistiques usuels.
Avec un logement en parc social dans une ville moyenne, le budget minimum s’élève à 1 424 euros par mois pour une personne seule ; il atteint 3 585 euros pour un couple avec deux enfants logé dans le parc privé. Dans toutes les situations familiales examinées, on est très loin du niveau de vie garanti par les minima sociaux, lesquels couvrent environ la moitié de ces budgets. Selon la situation familiale, le déficit de revenu varie d’environ 500 euros à 800 euros par mois et par équivalent adulte.
40 % des ménages en deçà du seuil
Environ 40 % des ménages ne disposent pas de ce minimum nécessaire et doivent faire des économies forcées en rognant sur divers postes de dépense. Ce pourcentage grimpe à 95 % pour les familles monoparentales – essentiellement des femmes – avec deux enfants : ces ménages sacrifient leurs besoins en matière de soins et se serrent fortement la ceinture sur les frais de garde et de cantine. Ces restrictions touchent aussi fortement (à 60 %) les personnes retraitées vivant seules. Seuls les couples sans enfant s’en sortent un peu mieux : 12 % « seulement » de ces ménages sont dans le rouge.
Le caractère massif de ce phénomène n’est pas réellement surprenant. D’une part, parce que ce résultat est cohérent avec les études régulières de l’Insee et du ministère des affaires sociales sur les conditions de vie des ménages. D’autre part, parce qu’il traduit dans une large mesure le bas niveau des revenus salariaux. L’exemple des familles monoparentales l’illustre bien. Pour accéder au budget minimum nécessaire (2 599 euros dans le parc social, 2 830 euros dans le parc privé), il faut disposer d’un revenu salarial annuel au moins égal à 2,1 Smic. Or, les trois quarts des salariés gagnent moins dans l’année.
Ces chiffres donnent la mesure des difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontés nombre de ménages. Ils permettent aussi de mieux comprendre le sentiment d’exclusion qui peut s’emparer de ces ménages privés des moyens nécessaires pour participer à la vie sociale.