Le 1er mars, le tribunal administratif de Lyon a annulé un arrêté préfectoral autorisant une extension de carrière sur 27 ha à Saint-Julien-Molin-Molette, dans la Loire. Une première victoire pour les écologistes du secteur, en lutte contre l’entreprise depuis plus de 30 ans.
Un calme relatif règne à Saint-Julien-Molin-Molette, dans la Loire, ce mercredi matin. Dans cette commune de 1200 habitants, les camions de la société Delmonico Dorel Carrières ont cessé de rouler. Le 1er mars, le tribunal administratif de Lyon a annulé un arrêté préfectoral autorisant l’extension de l’activité de la carrière. Au nom de « l’intérêt général », le préfet avait donné son aval au carrier pour creuser durant 30 ans sur 27 hectares dans le parc naturel régional du Pilat, à une heure de Lyon. Le tribunal en a décidé autrement.
Dans sa voiture, Jean Mazzoni souffle un peu. À 75 ans, ce natif de Saint-Julien est en lutte depuis des dizaines d’années contre la carrière. Créée en 1995, l’association « Bien vivre à Saint-Julien », dont il a été président dix ans, a été la première à porter un recours contre l’arrêté préfectoral au tribunal. « Ils ont complètement changé le paysage, regrette-t-il. Regardez ! » Du village voisin de Colombier, il montre du doigt le creux laissé dans la colline par l’entreprise. Dans le paysage vert et feuillu du parc naturel, forcément, le gros trou pierreux fait tache. « Il y a 30 ans, il devait faire le dixième ou le centième de ce que vous voyez aujourd’hui », constate-t-il.
Plus de 30 ans de combat
Son combat ne date pas d’hier. Reprise par la société Delmonico Dorel en 1973, la carrière avait déjà eu deux autorisations de la préfecture pour s’agrandir. En 2005, son association avait même eu gain de cause une première fois contre l’entreprise. Malheureusement pour elle, le jugement avait été cassé en appel. « On ne pouvait pas manger avec sa fenêtre ouverte, vous imaginez ? râle Jean Mazzoni. On pouvait avoir plus de 80 camions qui passaient par jour sur cette route. »
En 2018, la société obtient l’autorisation pour une nouvelle extension. Mais, cette fois, le projet ne passe pas. Avec l’association, la mairie dépose un recours. Fait rare, elle est suivie par le syndicat mixte du parc naturel régional du Pilat. « Cela faisait longtemps que je les titillais », note l’ancien ingénieur de la Dreal.
Selon ces derniers, les lieux de vie de 43 espèces protégées sont menacés par les travaux. En ce sens, le tribunal a souligné la présence de trois oiseaux protégés par des directives européennes : le hibou grand duc, le pic noir et l’engoulevent d’Europe. Six espèces de chiroptères et deux espèces d’amphibiens risquaient également d’être touchées du fait de la destruction de leurs lieux de reproduction. Bref, ça commençait à faire.
Au village, l’argument emploi toujours là
Durant son récit, Jean Mazzoni jette des regards à droite et à gauche. Il le sait, tout le village n’était pas contre la carrière. Une manifestation a d’ailleurs eu lieu devant l’entreprise lors de la fermeture. Devant les locaux, des messages s’affichent : « 24 chômeurs en plus, belle victoire ! » « Céline, tu nous passes ton R.I.B. ? » La personne « affichée », Céline Élie, est maire de la commune. Citant le tribunal administratif, elle note qu’il s’agirait plus de dix emplois. De plus, les personnes ne seraient pas licenciées mais recasées. Elles seraient cependant forcées de changer de lieux de travail.
Arrivée à Saint-Julien en 2001, la jeune femme est la première maire ouvertement opposée au projet de carrière. Depuis la décision, elle reçoit des courriers (très) énervés d’élus locaux, et même des lettres anonymes de « femme d’employé ». « Le vrai problème, c’est qu’ils ne s’attendaient pas à perdre, constate-t-elle. L’entreprise n’avait rien préparé. » Des plantations d’arbres, une manifestation avec 450 personnes, une opération « Saint-Julien plage », avec la rue du bourg bloquée… Les « antis » avaient pourtant déjà fait entendre leur voix bien avant la décision. Aujourd’hui, ils ont la victoire modeste. « On est content que le tribunal ait fait le choix de la biodiversité, commente la maire. Pour une fois, ce n’est pas le “tout économie” qui gagne. »
Lutte loin d’être terminée
Une victoire temporaire ? Le carrier a annoncé faire appel de la décision. Il joue la carte d’une production de granulats « made in local » avec 80 % de la production restant dans un rayon de 25 km. Du « développement durable », selon lui. « Franchement, on se fout ne nous, peste Jean Mazzoni. Si cette carrière n’avait pas eu d’appuis politiques, elle serait fermée depuis longtemps. »
Des appuis politiques, elle en a toujours. Après une demande auprès de la préfecture, le carrier a réussi à obtenir un arrêté d’autorisation d’exploitation temporaire d’un an. « On a l’impression que ça ne s’arrête jamais… », souffle la maire Céline Elie. La municipalité a annoncé vouloir attaquer l’arrêté en question en référé. La lutte est loin d’être terminée. En attendant, les habitants de Colombier ont toujours comme point de vue un grand trou dans leur montagne.
Pierre Lemerle