Quand les marchés de plein air étaient encore autorisés pour l’alimentation (jusqu’à hier)…
À Château-Arnoux Saint-Auban, dans les Alpes-de-Haute-Provence, le marché du dimanche est d’habitude un rendez-vous incontournable où l’on fait ses courses, on papote, on se montre. Au printemps, on s’y presse pour fêter joyeusement la fin de la morte saison. Hier, c’était un désert lunaire… Ambiance.
Ambiance étrange dans les Alpes-de-Haute-Provence au marché de Saint-Auban, le premier depuis le début du confinement. Une grosse vingtaine de stands alimentaires, dispersés sur la place pour limiter les contacts. L’allée centrale est déserte. « Il n’y a pas foule », remarque, stoïque, le marchand de pommes.
Quelques personnes passent très vite, le bas du visage derrière leur masque. Mais la plupart des habitant·es venu·es faire leurs courses prennent leur temps, l’air un peu égaré, content·es d’apercevoir des visages connus. Pour beaucoup, c’est la seule occasion de la semaine d’échanger quelques mots avec d’autres personnes que leurs proches ou leurs voisins. « Ça fait deux jours que je ne suis pas sortie, je suis un peu stone », dit une femme.
On échange des impressions, à 1 m les uns des autres. « Ça va finir par nous manquer, le contact physique », commente une habitante en mimant toutes les bises qu’elle donnera quand ce sera fini.
Les parents partagent leurs difficultés sur l’école à la maison. « Assez prise de tête », confie la maman d’un 6e. Pas évident de mettre des collégiens au travail plusieurs heures par jour quand vous êtes leur père ou leur mère. En revanche, certains lycéens en redemandent à l’approche du Bac. « Ils sont à fond, et très solidaires, constate une prof de lycée. Comme la plateforme de l’éducation nationale ne marche pas, ils se sont organisés, ont mis en place des forum et des chat sur les sites de gamers [joueurs de jeux vidéo]. Ils ont nommé des référents qui se débrouillent bien dans telle ou telle matière, chargés d’aider les autres. Et ils nous ont invité, nous les profs, dans leurs forums ! »
La semaine n’a cependant pas été identique pour tous. Pour ceux qui doivent continuer à se rendre au travail, celui-ci prend un goût particulier. Il y a bien-sûr les soignant·es et les autres professions plus ou moins « indispensables » en temps de crise : postiers, caissières… Mais également les travailleurs des usines qui continuent à tourner. « Les gens ne peuvent plus sortir, mais nous on continue d’aller bosser, ça me fait rire, confie un salarié de l’usine locale. En plus, une bonne partie de nos cadres et agents de maîtrise restent chez eux, tandis que nous on doit y aller. Ça fait bien ressortir les inégalités ! Et ça risque de s’aggraver, car maintenant on commence à nous parler de chômage partiel. Moi j’ai pas de problème à rester chez moi en perdant un bout de mon salaire, mais y en a qui ne peuvent pas se le permettre financièrement.Et puis il faudrait savoir : si c’est vraiment grave, pourquoi on va travailler quand ce n’est pas indispensable ? »
Même pour celles et ceux qui continuent d’aller au turbin, l’annulation de toutes les autres activités donne à la vie un rythme très différent. « Le manque de temps, c’est un peu le mal du siècle… et là on se retrouve avec plein, plein de temps ! » Repeindre des chaises, ranger la cave, soigner son jardin ou changer du carrelage : tout le monde ou presque a fait quelque chose qu’il n’aurait « jamais fait autrement ».
Et dans beaucoup de bouches, on retrouve le même souhait : que ce moment pas comme les autres nous permette de retisser de la solidarité, de remettre nos priorités dans le bon ordre, de réapprendre à respirer et à laisser respirer notre planète.
Lisa Giachino