Pour Yann Remlé, secrétaire départemental SUD-PTT-13, les postier·es peuvent jouer un rôle essentiel durant cette crise du Covid-19, notamment en effectuant de la veille sociale. Encore faut-il que la direction de La Poste leur en donne les moyens. Quant aux usager·es, ils sont invités à se montrer responsables.
L’âge de faire : Les postiers sont chaque jour en contact avec des milliers de lettres et colis, qui arrivent de partout à travers le monde, et qu’ils doivent distribuer dans des centaines de boîtes aux lettres. Cela peut représenter autant de risque de les contaminer au Covid-19 ou de contaminer les usagers. Dans ces conditions, le syndicat Sud appelle-t-il au droit de retrait ?
Yann Remlé : On appelle toutes les personnes qui sentent que le fait de travailler dans ces conditions représente un danger à se mettre en sécurité, en faisant valoir leur droit de retrait. Car ce qu’on nous dit aujourd’hui, c’est que le meilleur moyen de se protéger et de protéger les autres est de rester confiné chez soi. On pense surtout aux postiers identifiés « à risques » : les personnes diabétiques, ayant des problèmes cardiaques, respiratoires, rénaux, etc., et qui sont plus susceptibles de développer une forme grave de la maladie. Tous ceux-là doivent s’écarter d’office. Il y a aussi ceux qui fréquentent quotidiennement des personnes à risque, qui s’occupent par exemple de leurs parents âgés. Eux aussi, on les invite à faire valoir leur droit de retrait, au moins temps que La Poste n’aura pas pris les dispositions nécessaires pour les mettre en sécurité. Finalement, le droit de retrait, on le considère comme une manière de se prémunir du risque. C’est l’anticipation des mesures que La Poste devrait prendre et n’a pas encore prises pour sécuriser son personnel.
Comment sont reçus ces droits de retrait ?
Y.R. : Pour l’instant, je ne connais pas un seul site où La Poste les reconnaisse comme justifiés. Les postiers qui maintiennent leur droit de retrait sont considérés comme absents injustifiés. On a ainsi vu un directeur d’établissement distribuant, les larmes aux yeux, des courriers expliquant aux agents qu’ils seraient ponctionnés d’un trentième de leur salaire par jour d’absence et qu’il y aurait des mesures disciplinaires parce que ça correspondait à des absences injustifiées.
Concernant les mesures de prévention : concrètement, avez-vous à disposition des masques, des gants, des solutions hydroalcooliques ?
Y.R. : Ça commence à peine à arriver. En Paca (Provence-Alpes-Côte d’Azur), Sud-Poste a pourtant envoyé son premier courrier réclamant des mesures d’hygiène élémentaires et du matériel de protection dès le 31 janvier. Jusqu’à début mars, on a encore fait de multiples alertes, car il n’y avait rien, ou quasiment rien, de proposé aux agents. On continue par exemple à avoir les essuie-tout déroulant en tissus, qui sont des nids à bactéries, alors qu’on doit se laver les mains très régulièrement !
Ensuite, ça dépend de la pingrerie du directeur de chaque centre… Certains disent à leurs agents de s’acheter eux-mêmes leur gel hydroalcoolique. Un autre a acheté une grosse bonbonne pour 50 agents. Comment ça se passe, qui la prend pour partir faire sa tournée ?! Du coup, il leur a dit de venir avec leurs propres contenants pour le remplir sur place !
Est-ce qu’il y a des consignes claires données par la direction de La Poste ?
Y.R. : Pour l’instant, non, chaque directeur de centre donne ses propres consignes. Certains disent qu’un postier qui porte un masque, c’est rassurant pour ses collègues, d’autres disent le contraire, que ça va leur faire peur. Les situations sont donc différentes d’un bureau à un autre. J’étais hier dans un bureau ou un postier est arrivé avec un masque. Le patron lui a dit que soit il l’enlevait pour rentrer dans le centre, soit ça signifiait qu’il était contagieux et qu’il devait rentrer chez lui. Le postier a finalement retiré son masque pour pouvoir travailler : il était en CDD, il savait bien que s’il faisait valoir son droit de retrait, à la fin du mois il irait pointer à Pôle Emploi. Je suis retourné dans le même bureau le lendemain, la stratégie avait changé, il y avait 40 personnes avec un masque et ça ne posait plus de problème à la direction !
On nous parle aussi des gestes barrière. À La Poste, certains de ces gestes sont inapplicables. Du fait de l’activité, des déplacements, du nombre de personnes qui travaillent sur un même site, on ne peut pas les respecter : on va faire du tri, puis du classement, toutes ces tâches sont extrêmement cadencées, il y a des croisements et des échanges d’objets qui sont inévitables. C’est très bien de donner des consignes sur les gestes barrière, mais la direction doit aussi prendre en compte la capacité qu’ont les agents de les appliquer. Là, la responsabilité est renvoyée sur l’employé.
Dans quel état d’esprit se trouvent les postiers ?
Y.R. : Il y a clairement une angoisse au travail, de la peur, parfois même irrationnelle. Une copine factrice m’a appelé mardi matin. Elle m’explique qu’elle est morte de trouille, parce qu’elle est en train de faire sa tournée et que la ville est déserte. Ça faisait une heure qu’elle était dehors, à Marseille, et elle n’avait vu absolument personne, comme si elle était la dernière survivante ! Elle a paniqué, c’est compréhensible. D’un autre côté, les postiers veulent être présents durant cette crise. J’ai des copains qui ont décidé de renoncer à leur détachement syndical pour aller bosser sur le terrain. La question, c’est comment on fait ? Dans quelles conditions peut-on travailler sans nous mettre en danger, sans mettre en danger nos proches et nos usagers ?
Formulez-vous des propositions en ce sens ?
Y.R. : Autant l’activité courrier est en train de se restreindre drastiquement, autant l’activité colis reste très intense. Et ces colis arrivent de partout. On trimballe donc possiblement le Covid-19 avec nous. Les études ne disent pas toutes la même chose. Mais on peut quand même s’accorder sur le fait que, sur des surfaces inertes comme le fer ou le plastique, le virus a plusieurs dizaines d’heures de survie possible. De la même façon qu’on demande le confinement des gens, on demande donc le confinement du courrier, pendant 48 ou 72 heures. Ce n’est sans doute pas suffisant pour supprimer totalement le risque, mais ça peut le réduire drastiquement.
Est-ce que distribuer le courrier à J+1 dans toutes les boîtes à lettre, en disséminant possiblement le virus, est vraiment une activité essentielle et vitale ? Le courrier, moi, dans cette situation, je veux bien ne l’avoir qu’une fois par semaine. Par contre, la spécificité de notre entreprise, c’est de pouvoir être sur l’ensemble du terrain, 6 jours sur 7. Si le confinement dure jusqu’au mois de mai, on va effectivement devenir un maillon essentiel et vital pour la nation. À condition qu’on nous donne les protections efficaces, on va pouvoir s’enquérir des personnes isolées, porter des médicaments, voire des plateaux repas… Encore faut-il que La Poste nous donne les moyens de le faire. Et là, je suis certain qu’au lieu d’avoir des tas de droits de retraits, nous aurons des tas de volontaires. Car ça, c’est du service public, ça, ça procure une fierté du métier.
Quelle serait l’attitude responsable à adopter pour les usagers vis-à-vis de La Poste et des portiers ?
Y.R. : Ce qu’on veut durant cette période, c’est aller au-delà de nos missions classiques, et travailler sur ce lien de proximité et de veille sociale. Ce qu’on demande aux usagers, c’est de ne pas faire n’importe quoi : décaler autant que faire se peut vos achats de colis. La commande du dernier jeu vidéo peut attendre un mois ou deux. Car nous, on ne peut pas, aujourd’hui, faire la différence entre un produit vital (médicaments, denrées périssables…) et une paire de baskets qui vient de Chine. Ça rejoint finalement les consignes gouvernementales : si vous sortez, c’est pour aller faire vos courses en produits essentiels. Il faut avoir le même état d’esprit avec les colis, avoir cette même conscience collective.
Propos recueillis le 20/03/2020 par Nicolas Bérard