En France, les lois telles qu’elles sont appliquées lors des manifestations ne sont pas compatibles avec la liberté d’expression, de manifestation et d’information. Les arrestations arbitraires se multiplient. C’est ce qui ressort d’une enquête récemment publiée par Amnesty International, étayée de nombreux témoignages de victimes.
La répression policière lors des manifestations en France continue de menacer gravement les libertés fondamentales et la sûreté des personnes. Dans sa dernière enquête, Amnesty International révèle que lors de la manifestation du 12 décembre 2020 à Paris, de nombreux manifestants pacifiques ont été illégalement privés de liberté. Des milliers de personnes s’étaient ce jour-là mobilisées contre la proposition de loi Sécurité Globale et contre le projet de loi « Confortant les principes républicains ». Sur les 142 personnes interpellées lors de cette manifestation, près de 80 % ont été relâchées sans poursuites. Amnesty International a étudié 35 cas d’interpellation dont 33 gardes à vue, recueilli des témoignages de manifestants arrêtés, de leurs proches, des avocats et réuni des pièces judiciaires, certificats médicaux ou vidéos. L’association en a conclu que pour ces 35 cas documentés, aucun élément ne permettait de penser que ces personnes avaient pu commettre une infraction.
Masques Covid : « Dissimulation de visage »
Hugo (1), un jeune homme de 16 ans, était parti manifester le 12 décembre avec sa bande de copains. « Ce sont plutôt des artistes, raconte Lara, sa mère. Hugo est assez militant et pacifiste. Il dansait au son du tam-tam. Il s’est fait bousculer et projeter contre le trottoir par les forces de l’ordre. Il a dit “tout va bien” et là, il s’est pris des coups de matraque. Il n’a rien compris. » Cellule froide, sans lumière, un matelas qui sent l’urine… Lara décrit les conditions de la garde à vue de 24 heures infligée à son fils.
Adrien, jeune reporter, n’a pas eu plus de chance. Interpellé alors qu’il filmait les événements, il a passé 34 heures en garde à vue. Quand il a pu récupérer son matériel, un mois après la manifestation, il a découvert que ses images étaient inutilisables : sa carte mémoire avait été volontairement détériorée.
« La manifestation avait commencé depuis dix minutes, raconte-t-il. Il y avait des jeunes, des personnes âgées et aucun signe de tension. À un carrefour, des escadrons de CRS, Bac (Brigade anticriminalité) et Brave-M (Brigades de répression de l’action violente motorisée) sont arrivés. Ils ont chargé sans sommation une personne âgée qui portait une pancarte et une autre avec un haut-parleur. Un policier m’a attrapé dans le dos, j’ai dit que j’étais journaliste, ils m’ont traîné par terre, m’ont menotté avec des serflex (2) et m’ont dit : “tu t’expliqueras au commissariat”. »
Trois motifs d’interpellation avaient été retenus à l’encontre d’Adrien : délit de groupement en vue de préparation de violences, dissimulation de visage et refus d’obtempérer à un ordre de dispersion. À l’issue de sa garde à vue, aucun de ces trois motifs n’a été retenu contre lui. « On a tous un masque en période de Covid », s’insurge Adrien, qui avait donc forcément le visage en partie dissimulé.
Gonfler des ballons : un délit ?
« Cette situation n’est pas exceptionnelle, commente Anne-Sophie Simper, auteure de l’enquête. C’est quelque chose qu’on avait déjà documenté dans un rapport sorti en septembre dernier qui couvrait la période allant de fin 2018 à mi-2020 environ. Dans ce rapport, on avait quand même une personne qui a passé 8 heures en garde à vue pour avoir gonflé des ballons jaunes sur les Champs-Élysées. Ça, c’était considéré comme “délit de groupement en vue de préparation de violences”. Sur la manifestation du 12 décembre, on n’a même pas trouvé ce qui avait pu poser problème et de toute façon, les personnes avaient été fouillées avant l’arrivée à la manifestation (3). Dans un des témoignages, une personne raconte que le policier avait coché “possession d’une arme“, heureusement un autre lui a dit que c’était une erreur, donc ça donne l’impression que les cases sont cochées sans que ce soit basé sur des éléments matériels. Ça montre que cette volonté d’interpeller dans la manifestation ne permet pas d’arrêter des personnes qui vont vraiment commettre des violences et donc, elle conduit à des arrestations arbitraires. »
Pratiques « inquiétantes »
Les autorités françaises continuent à appliquer lors des manifestations des lois contraires au droit international, estime Amnesty International. L’association note que l’infraction pour dissimulation de visage est incompatible avec la liberté d’expression. Quant à l’infraction « délit de groupement en vue de la préparation de violences », elle relève d’une loi « peu claire créée sous Sarkozy, pour lutter contre des phénomènes de bandes violentes en banlieue », rappelle Anne-Sophie Simper. Elle est aujourd’hui très largement utilisée contre des manifestants et porte atteinte au droit de manifester.
Les arrestations arbitraires de journalistes contreviennent à la liberté de l’information, quant au menottage de personnes qui ne présentaient aucun danger, comme l’ont relaté des manifestants, il relève de pratiques « inquiétantes » de la police, non conformes au droit international ni au droit français. L’enquête d’Anne-Sophie Simper pointe également du doigt le tweet du ministre de l’Intérieur : le 12 décembre, Gérald Darmanin « avait laissé entendre que les 142 personnes interpellées faisaient partie des centaines de casseurs présents dans la manifestation ». Or, il n’en est rien, car, rappelons-le, 80 % de ces interpellations n’ont finalement donné lieu à aucune poursuite et étaient donc injustifiées.
Nicole Gellot
1 – Prénom d’emprunt.
2 – Liens en plastique pour ligoter les poignets.
3 – Adrien a été contrôlé sept fois ce 12 décembre.