C’était le 6 novembre au matin. Un lundi. Nous, salarié·es de L’âge de faire, étions tranquillement assis autour de la table de réunion. La tisane était chaude, du café venait de couler, il y avait même des viennoiseries.
Dehors, il faisait un peu froid, mais on s’en foutait, puisque nous avions fini l’isolation paille de nos locaux. Pieds sur la table, sourires aux lèvres, pépouzes. Nous avions la vigilance à zéro lorsqu’Émilie déclencha les hostilités : « Ré-tro-pla-nning », lâcha-t-elle. Les syllabes ont sifflé à nos oreilles comme des balles de mitraillette. Le temps semblait ralenti, façon Matrix. Nous étions tétanisé·es mais, déjà, les tirs reprenaient de plus belle : « Plan-de-tré-so-re-rie », « Bu-dget-pré-vi-sio-nnel », « stra-té-gie-de-com’ »… La panique fut totale, on était à deux doigts de se jeter sous la table. Émilie nous a alors accordé une pause salvatrice, et nous avons retrouvé nos esprits. Bien joué !
Il faut dire que c’est une pro, Émilie. Elle fait du « conseil et accompagnement des organisations et des territoires ». Rien que le nom, ça claque ! Et si elle était présente ce 6 novembre à L’âge de faire, c’est parce que nous avons fait appel à elle dans le cadre d’un DLA, « dispositif local d’accompagnement ». Ça aussi, avouez que ça fait tout de suite sérieux ! Surtout lorsqu’on apprend qu’il s’agit du « Premier dispositif d’accompagnement de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, [et que] le DLA accompagne gratuitement les structures d’utilité sociale dans le développement de leurs emplois et de leurs projets ». Autrement dit, avec l’argent de vos impôts (merci !), on a cherché des solutions pour améliorer le fonctionnement et la rentabilité de notre société coopérative de production, la Scop L’âge de faire.
Jusqu’à présent, nos « budgets prévisionnels » (c’est bien comme ça qu’on dit ?) consistaient à répondre à la question suivante : « Au fait Laurence, à la fin du mois, y aura assez de thunes sur le compte pour verser nos salaires ? » Autant dire qu’on partait d’un peu loin…
Laurence, c’était notre comptable, redoutable, qui nous alertait mois après mois : « Les amis, vous êtes bien sympas, je vous aime, mais des fois j’ai quand même très envie de vous torpiller la tronche ! Sérieux, va falloir trouver une solution pour équilibrer les comptes ! » À l’appui, et avec des éclairs dans les yeux, elle nous montrait tout un tas de chiffres impeccablement rangés dans des tableaux à angles droits, suite à quoi on ne pouvait qu’être convaincus. « Merde, elle a raison ! » L’air grave, on écrivait alors « trouver une solution » à l’ordre du jour de la prochaine réunion et chacun·e repartait bosser sur le numéro à venir… Mais comme vous le savez, les mois et les années passent très vite (c’est fou !), et on n’avait jamais vraiment pris le temps de la trouver, cette solution. C’est ce que nous essayons enfin de faire à travers ce DLA ! Et l’une des choses qu’on s’est dites, c’est que vous deviez être les premier·es informé·es de ce qu’il en sortira. La suite au prochain épisode, donc !
Mais pour finir cet édito, il faut sans doute vous rassurer : si je parle de Laurence au passé, c’est juste parce qu’elle a décidé de démissionner. Elle pète le feu ! Elle sera restée 7 ans au journal, juste le temps de remettre notre comptabilité d’équerre. Grâce à elle, désormais, même si les chiffres sont toujours mauvais, au moins sont-ils justes ! Si son futur employeur lit ces lignes, qu’il sache donc qu’il peut la recruter les yeux fermés* ! Oui, car même si cela fait déjà 40 ans qu’elle travaille, un type très arrogant dont nous ne citerons pas le nom a décidé que ça ne suffisait pas et qu’elle devait trimer deux ans de plus pour avoir droit à sa retraite. Morale de l’histoire : il est quasiment impossible de rédiger tout un édito sans s’énerver contre Emmanuel Macron !
Merci pour tout Laurence !
Nicolas Bérard