La mise en production de l’EPR de Flamanville est annoncée comme « imminente » par EDF. Vus les déboires accumulés pendant la phase de construction du bidule, on se dit que ça vaut peut-être le coup de prendre son temps avant d’appuyer sur le bouton.
Le petit monde du nucléaire est en ébullition : le réacteur EPR de Flamanville sera lancé « à l’été 2024 », a indiqué EDF au printemps. Il ne reste donc que quelques jours à l’exploitant pour tenir son calendrier. Mais on a envie de dire aux ingénieurs de prendre leur temps. De ne pas confondre vitesse et précipitation avant d’appuyer sur le bouton. No stress, EDF. On n’est pas à quelques jours près, voire à quelques mois, voire on peut toujours arrêter un chantier en cours, au lieu de s’enferrer dans la dépendance au risque nucléaire. On n’est pas à quelques jours, d’autant que ce lancement était prévu initialement il y a douze ans, en 2012. Depuis, qui s’est plaint du retard, à part les actionnaires d’EDF, aujourd’hui propriété unique de l’État, et de quelques élus qui attendent l’inauguration pour se faire mousser ?
L’événement est loin d’être anodin. Déjà, ça fait 28 ans que les ingénieurs français n’ont pas appuyé sur le bouton d’un nouveau réacteur – c’était à Civaux, en 1996. Mais en plus, l’EPR de Flamanville, ce n’est pas juste un réacteur de plus. C’est LE réacteur ! L’EPR ! L’European pressurized reactor, c’est la nouvelle génération des réacteurs, toujours plus puissants et sécurisés, d’après EDF. Celui de Flamanville compte 4 groupes électrogènes de secours.
Et si on vérifiait les niveaux ?
Le 7 mai, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a autorisé EDF à charger le combustible. C’est durant cette étape de chargement, le 15 mai, que le futur exploitant a relevé qu’il manquait de l’eau dans le réservoir d’un groupe électrogène de secours, eau prévue pour refroidir le groupe et lui éviter la surchauffe en cas d’utilisation. En fait, EDF s’aperçoit qu’il manque de l’eau non pas pour un groupe électrogène, mais pour trois groupes sur les quatre que compte le système de secours du réacteur… Bien sûr, il refait les niveaux, et déclare le problème à l’ASN – une semaine après. Dans un communiqué relatif à cet incident, le « gendarme du nucléaire » emploie la formule d’« événement significatif », même s’il « n’a pas eu de conséquence sur les personnes et l’environnement ». En effet, l’ASN remarque que « cette situation a conduit à mettre en service le réacteur avec trois sources électriques internes indisponibles »… À quoi ça sert de se décarcasser à construire des supers réacteurs avec quatre groupes électrogènes de secours, si on oublie de vérifier qu’ils sont en état de fonctionner ?
Le fiasco : une exception française
La construction de l’EPR de Flamanville, débutée en 2007, a été un fiasco. Dès le bétonnage du radier, plateforme sur laquelle l’installation repose, des anomalies sont détectées. En 2008, L’ASN doit demander à EDF de stopper ses opérations de bétonnage des ouvrages importants pour la sûreté et de mettre en œuvre des « actions correctives ». En 2008, ce sont des soudures destinées à étanchéifier l’enceinte de confinement qui doivent être reprises. Puis le chantier avance, la cuve du réacteur est posée en 2014. Mais l’année suivante, Areva, le constructeur de la cuve, annonce qu’il y a des anomalies dans la composition de l’acier de la cuve et de son couvercle, « ayant un impact sur les caractéristiques mécaniques des matériaux », précise l’ASN. En 2017, l’ASN autorise finalement EDF à exploiter la cuve malgré les anomalies. Quant au couvercle, EDF devra le changer au plus tard fin 2025… 2017, c’est aussi l’année durant laquelle ressurgissent les anomalies de soudure, cette fois dans le circuit secondaire… et primaire.
L’ASN serait-elle tatillonne, comme le sous-entend le lobby pro-nucléaire ? Non : ces anomalies n’ont pas été constatées sur les trois EPR déjà en activité en Chine et en Finlande. Il s’agit bien d’une exception française : la médiocre gestion du projet par EDF, et les pratiques d’Areva. En 2019, l’opérateur commande même un audit pour comprendre pourquoi il est aussi mauvais. C’est le rapport Folz, du nom de son auteur, ancien PDG de PSA. Il dresse le portrait d’une entreprise clairement dépassée par son projet. Le rapport est particulièrement critique sur la façon dont EDF a géré ses relations avec ses sous-traitants et fournisseurs. L’auteur pointe aussi « la perte de compétences généralisée » d’EDF sur la construction de centrales nucléaires…
Le 6 juillet, le PDG d’EDF a annoncé que la première divergence était « imminente ». La première divergence, c’est la première réaction de fission nucléaire. Pour ce faire, EDF doit encore obtenir une autorisation de l’ASN… encore faut-il qu’il la demande. Or, le 23 août, le « gendarme du nucléaire » a fait savoir à l’AFP qu’il n’avait pas de nouvelles d’EDF concernant cette demande. Vous avez raison, les gars, vous pressez pas. Vous avez tout votre temps.
Fabien Ginisty