La sorcellerie passe par des rituels néo-païens dont l’une des formes les plus répandues, la wicca, a été popularisée par l’activiste états-unienne Starhawk. Pour cette sorcière féministe et anarchiste, la spiritualité est indissociable de l’engagement politique et doit inclure une bonne dose d’humour.
Quand on se dit sorcière, mieux vaut intégrer à sa palette de pouvoirs magiques un solide sens de l’humour. Starhawk, du haut de ses quelques décennies d’expérience, l’a bien compris : « M’identifier comme païenne, féministe, sorcière et anarchiste peut être alarmant pour beaucoup, mais cela m’empêche de sombrer dans l’ennui respectable de l’âge mûr », écrit cette activiste des États-Unis dans son dernier livre publié en France, Quel monde voulons-nous ?
Autre génération, autre style, mais toujours le goût de la plaisanterie : La sorcière enquête (1), « blog d’une meuf qui aime les trucs bizarres » rédigé par une jeune parisienne, propose « la wicca pour les nuls », vulgarisation d’un ouvrage de référence sur le sujet (2). La wicca est un mouvement néo-païen qui a pris des formes diverses au cours du XXe siècle. Ses membres peuvent, collectivement ou individuellement, adapter les rituels et en créer de nouveaux, invoquer les divinités de leur choix, ou simplement se référer à la nature. « L’invocation est une petite formule, souvent empreinte d’un lyrisme frôlant le ridicule (parmi celles qui nous sont proposées). Le ton exalté me donne envie de pouffer comme une dinde. Si je veux devenir une sorcière, je vais être obligée de créer mes propres formules », écrit la rédactrice du blog, qui partage ses découvertes dans un mélange de sérieux et d’ironie. « Chez les wiccans, la liberté est le mot d’ordre, tant que vous ne nuisez ni aux autres, ni à vous-même, ni à notre environnement. Ce qui compte, c’est la sincérité de votre démarche », précise-t-elle.
« Ça nous maintient lucides et humbles »
Pour Starhawk, qui pratique elle aussi la wicca, le rire et l’autodérision ont une part essentielle dans la spiritualité. Dans son cercle de femmes néo-païennes, « nous avons pour vieille habitude d’écrire des parodies de nos chants les plus sacrés. Cela fait partie de ce qui nous maintient lucides et humbles », explique-t-elle.
Une manière de devancer les moqueries ? La sorcière sait bien, en tout cas, que ses prétentions magiques font sourire, voire ricaner, surtout si elle les mêle à la vie publique. « Pourquoi mélanger une critique militante du monde, claire et articulée, avec des balivernes, des abracadabras, des fadaises bisounours new age ? », interroge-t-elle avant de répondre : « Les outils de la magie – la compréhension de l’énergie et du pouvoir, l’usage des symboles, la perception de la conscience d’un groupe et des manières de la modifier et de lui donner forme – sont aussi les outils du changement politique. Depuis plus de trente ans, je marche le long de la limite où se rencontrent le spirituel et le politique. Pour moi, les deux ont toujours été indissociables. »
Starhawk s’est formée au sein d’une branche féministe radicale néopaïenne, Dianic Wicca. Elle a ensuite créé ses propres traditions, présentées dans le livre La danse spirale, publié en 1979 (3). Pour elle, une tradition n’a nul besoin de provenir du fond des âges. Elle puise dans l’histoire des lieux où elle s’inscrit et dans la culture des personnes qui la construisent, mais elle est tournée vers les enjeux du présent et du futur. « Les traditions spirituelles nouvelles qui surgissent sont comme le jazz ou la musique rock, une synthèse de multiples influences », écrit-elle dans Quel monde voulons nous ?
Des camps de sorcières
Dans les années 80, Starhawk fonde avec quelques amies le collectif Reclaiming (Récupérer), qui propose des cours de spiritualité et s’étend peu à peu. Les witchcamps (camps de sorcières), sessions d’entraînement intensif d’une semaine, débouchent sur la création de groupes locaux.
Rien de surnaturel à cela : ce n’est pas parce que nous ne savons pas expliquer scientifiquement ces phénomènes qu’ils doivent être séparés de la nature, estime la sorcière.
Dès le début des années 80, Starrhawk et son groupe participent aux blocages de centrales nucléaires ou d’exploitations forestières, et aux rassemblements anti-militaristes. Vingt ans plus tard, on les retrouve à Seattle, puis à Gênes, dans les manifestations contre l’Organisation mondiale du commerce. Leur inventivité marque les esprits. « Si la présence des néo-païennes féministes fut si importante, sans rapport direct avec leur nombre, c’est en raison des rituels comme des différentes techniques de groupe qu’elles partagèrent avec les autres manifestant·es », rapporte la philosophe Émilie Hache (3).
« La grande conversation » avec la nature
Organisation d’un collectif en démocratie directe ; interrogations sur l’influence des leaders et la difficulté à construire un mouvement diversifié ; nécessité de « redevenir autochtone » en connaissant « de manière intime au moins un endroit sur la terre » ; dilemme entre violence et non-violence… Nul besoin de « croire à la Déesse » pour se retrouver dans les réflexions de Starhawk.
La question de savoir si les divinités existent au-delà du symbole est d’ailleurs de peu d’importance pour elle. Contrairement au Dieu des grandes religions monothéistes, qui transcende les croyant·es, la Déesse néo-païenne est immanente : elle existe à l’intérieur des personnes qui la font vivre. « Elle ne vient pas pour nous sauver. C’est à nous qu’il appartient de la sauver. Si nous le voulons, écrit Starhawk. Ce que nous nommons Déesse ou Dieu était le visage ou la voix que les gens donnaient à la manière dont un lieu leur parlait. Et les outils de la magie, cette discipline permettant de percevoir et de modifier la conscience, étaient les manières d’écouter ce que l’ethnobotaniste Kat Harrison appelle « la grande conversation », ce qui, tout autour de nous, ne cesse de communiquer », précise la sorcière.
Cette écoute attentive de la nature, et l’invention de rituels collectifs qui permettent aux femmes de retrouver confiance en leur pouvoir, ont beaucoup inspiré les premières écoféministes. Aujourd’hui, des débats théoriques ont lieu pour savoir si l’écoféminisme (4), « essentialise » les femmes en les disant plus proches de la nature que les hommes, ou s’il met en valeur les savoirs précieux que leur condition sociale les a obligées à développer. Débats que Starhawk se garde bien de trancher, elle qui préfère, par l’action et les rites, avancer collectivement vers un « sol commun » où pourront s’épanouir une diversité de mondes possibles.
Lisa Giachino
1 – https://lasorcièreenquête.com
2 – La Wicca. Manuel de magie blanche : rituels, recettes, herbes et invocations, Scott Cunningham, éd. J’ai lu, 1988.
3 – D’après Émilie Hache, préface à la traduction française de Rêver l’obscur, Starhwak, éd. Cambourakis, 2015.
4 – Courant de pensée qui affirme que les enjeux écologiques et féministes sont étroitement liés.
