Par Dominique Plihon, économiste atterré
L’insuffisance chronique de la R&D (Recherche et développement) est une des causes avérées du déficit de compétitivité de l’industrie française, contrairement au discours dominant qui accuse les coûts salariaux excessifs. Pour stimuler la R&D des entreprises, l’Etat a mis en place le crédit d’impôt recherche (CIR) en 2007. Les exonérations fiscales au titre du CIR ont connu une forte progression pour atteindre près de 6 milliards d’euros en 2014. En 2013, la Cour des comptes lançait un cri d’alerte : le CIR est devenu la niche fiscale la plus coûteuse pour l’Etat, et donc pour le contribuable … sans que son efficacité soit vérifiée. Des travaux récents menés par les chercheurs du mouvement « Sciences en marche » montrent – calculs à l’appui – que de 2007 à 2012 il n’existe « aucune corrélation entre le CIR et la création d’emplois de R&D dans l’ensemble des entreprises ». 63 % du CIR ont été captés par les entreprises de plus de 500 salariés ; or ces dernières n’ont créé que 18 % des nouveaux emplois de R&D (1).
Le mouvement des chercheurs tire deux conclusions de ses analyses : premièrement, seules les PME, qui ne profitent qu’à hauteur de 37 % du CIR, ont mis cette aide publique à profit pour augmenter significativement leur effort de R&D. En second lieu, le CIR donne lieu à un détournement massif par les grandes entreprises de « 6,2 milliards entre 2007 et 2012 », soit plus de 40 % du CIR touché, qui ne se retrouve pas dans leurs dépenses de R&D. Ainsi, le CIR est utilisé comme un instrument de fraude fiscale par les grandes entreprises. Leur stratégie est d’intégrer dans l’assiette du calcul du CIR des dépenses commerciales et administratives, sans innovations scientifiques, ce qui éloigne cette aide fiscale de sa raison d’être : favoriser « l’économie de la connaissance »1.
Les comparaisons internationales démontrent l’inefficacité du CIR : de 2007 à 2012, les dépenses de R&D des entreprises françaises ont augmenté au même rythme que la moyenne des 28 pays de l’Union européenne dont aucun ne dispose de dispositif aussi favorable que le CIR français.
L’État français serait bien inspiré de réformer ses aides à la recherche, et de suivre la suggestion de « Sciences en marche » : recentrer le CIR sur son seul segment efficace – les PME –, ce qui dégagerait 4 milliards d’euros par an. De quoi permettre de remettre à niveau les laboratoires publics de recherche et les universités, et de financer des postes de chercheurs, afin d’éviter la fuite des jeunes scientifiques français à l’étranger.
1 Voir à ce sujet un rapport récent du syndicat Solidaires Finances Publiques : « Crédit d’impôt recherche : du crédit d’impôt à la recherche … », 15 avril 2015.