De la Commune au Front populaire, quel parcours l’idée de la grève générale a-t-elle mené ? Suite au film Grandpuits, petite victoire, Olivier Azam et Laure Guillot proposent le documentaire Une histoire de la grève générale, pour comprendre les racines et le sens de ce mouvement ancré dans les luttes actuelles.
En une heure, avec deux spécialistes de l’histoire syndicale et des luttes sociales, le documentaire retrace une histoire de la grève générale, de la Commune de Paris en 1871 à l’élection du Front Populaire en 1936. Appuyé par des images d’archives, il résume une histoire de ce mouvement de lutte, aujourd’hui parmi les principaux leviers des contestations. N’est-ce qu’un « slogan, [dont on] parle autour des piquets de grève comme arme des faibles qui tous ensemble, arrêtant de travailler deviendraient les forts » ?
Vers 1871, quand émerge l’idée de grève générale, le principe ne tombe pas sous le sens. Les ouvriers y voient plus d’inconvénients que d’avantages. Proudhon puis Jaurès n’y seront pas favorables. La Commune de Paris, réprimée dans le sang, n’est pas loin. Mais alors que, jusque-là, les luttes se faisaient « derrière les barricades, face à des canons », on se met à imaginer une autre manière d’inverser les rapports de force. Tortelier, compagnon menuisier du faubourg St Antoine, se fait propagandiste de la « révolution des bras croisés », pour une révolution qui ne serait pas émeutière mais « l’expression de la classe ouvrière pour sa libération ».
« On croise les bras et le monde s’effondre, avec l’idée qu’ensuite, le monde aura changé de base, comme c’est dit dans l’Internationale, que les ouvriers reprendront la production en main. » C’est le début de tout un travail de construction des syndicats, terreau maintes fois amendé et retourné, sur lequel germera l’idée de la grève générale.
Reconnus officiellement en 1884, les syndicats portent à cette période un idéal révolutionnaire mais changent régulièrement de dirigeants et de stratégies et s’interrogent sur leurs articulations avec les partis politiques.
Le patronat effrayé
Le documentaire évoque les grandes figures et explore les principales dates de cette histoire. L’année 1906 par exemple, avec un 1er mai qui effraye le patronat, puis un coup de grisou faisant un millier de morts et qui fait exploser à la face des Français les terribles conditions de travail des mineurs. Enfin le congrès d’Amiens en octobre, qui reconnaît l’indépendance des syndicats vis-à-vis des partis et la grève générale comme moyen d’action pour instaurer une économie dirigée par les ouvriers. Suivent les années de guerre, pendant lesquelles une majorité des dirigeants syndicaux rallient l’Union sacrée, oubliant certains idéaux de 8 heures, par peur des contestations qui bouillonnent. L’année suivante, une tentative de grève générale, dévoyée par les luttes internes aux syndicats, aboutira à une scission de ces derniers.
La reconstruction se fait sur fond de montée de l’extrême droite, jusqu’en 1936 où, enfin, alors que le Front populaire a gagné les législatives et que les travailleur·euses sont en meilleure forme suite aux années de guerre et de crise épuisantes, un mouvement spontané, venu d’en bas, fonctionne à plein : une grève générale avec pour nouveauté l’occupation des lieux de production par les hommes et par les femmes : « 12 000 grèves, dont 9 000 occupations ».
Le patronat effrayé concède deux semaines de congés payés, la semaine de quarante heures, des augmentations de salaires… Avant de contre-attaquer avec des licenciements des syndiqués les plus actifs.
Si cette grève générale, selon M. Chueca, n’est pas allée aussi loin que celle qu’imaginaient les « grêvegénéralistes », syndicalistes révolutionnaires de 1906, elle aura néanmoins laissé infuser une mémoire qui se transmet encore et à laquelle rendent hommage les grèves d’aujourd’hui. Elle aura aussi posé les bases d’avancées sociales sur lesquelles on aimerait ne pas revenir… À propos, ce documentaire est l’un des films mis à disposition par les Mutins de Pangée pour alimenter les caisses de grèves.
Lucie Aubin
> Une histoire de la grève générale, de Olivier Azam et Laure Guillot, disponible sur la plateforme lesmutins.org
Article à lire dans le numéro 183, avril 2023.