Les milliardaires et les États qui se lancent actuellement dans la conquête de l’espace mettent en péril les recherches des astrophysiciens, et risquent même de polluer visuellement le ciel étoilé. Celui-ci nous a pourtant tant apporté, sur le plan des connaissances comme de la rêverie…
New York, août 2003. Les pompiers sont submergés d’appels, la population s’affole : cette fois ça y est, les extraterrestres attaquent ! La cause réelle de la panique n’a pourtant rien à voir avec une invasion de petits hommes verts. La ville a juste été plongée dans le noir en raison d’une coupure d’électricité généralisée. Dans cette obscurité inhabituelle, les New Yorkais·es venaient tout simplement de découvrir l’existence de… la voie lactée !
Cet épisode étonnant montre que la pollution lumineuse de Big Apple avait totalement rompu le lien entre ces Terrien·nes et leur ciel. Un lien pourtant vieux comme l’humanité : de tout temps, les étoiles et les planètes visibles ont donné lieu à des interprétations, des rêves, des mythologies. Inaccessible, le ciel était le domaine des dieux. Plus récemment, c’est à travers la littérature, le cinéma ou la bande dessinée que l’espace continue à faire parler de lui. Mais il est également un terrain infini de recherches, qui ont apporté à l’humain quelques précieuses indications – comprendre le cycle des jours, des saisons ou des années, démontrer que la Terre est ronde, ou encore suivre l’étoile Polaire, qui indique sans faillir, depuis des lustres, le Nord à qui veut bien lever le yeux et analyser un peu le ciel.
Renouer ce lien avec les astres, c’est justement ce que propose le centre d’astronomie situé dans le bien-nommé village de Saint-Michel L’Observatoire, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Ici, le ciel est clair environ 300 jours par an et est réputé comme étant l’un des plus purs d’Europe. Il s’agit donc d’un lieu d’observation idéal, même si la pollution lumineuse des villes de Manosque, Forcalquier, et même Aix-en-Provence et Marseille (pourtant à 80 km de là) est de plus en plus visible.
« On a à la fois la passion de l’astronomie et la passion de la partager », résume Karen, l’une des salariés de l’association. Sur site, la lumière artificielle constitue l’ennemi public numéro 1. Toute ampoule allumée le temps d’une manœuvre est aussitôt éteinte, et les participants qui allument une lampe torche sont aussitôt rappelés à l’ordre. « Les gens n’ont plus l’habitude, mais au bout d’un moment les yeux finissent par s’adapter à l’obscurité, et finalement, on y voit suffisamment. »
TOUT EST (TRÈS) RELATIF
Nous partons en direction du télescope T600, le plus important du site. Le Terrien que je suis pose alors la première question qui lui vient à l’esprit : « Ça permet de voir des étoiles qui se trouvent à quelle distance de nous ? » Mais l’astronomie rebat toutes les cartes, comme me le rappelle Paloma, l’une des médiatrices scientifiques du centre : « Nous, les distances, c’est pas vraiment quelque chose qui nous intéresse… On en connaît certaines, bien sûr, mais ça n’est pas toujours une donnée très pertinente en astronomie, parce que de toute façon nous ne sommes pas au centre de l’univers. » Il est toujours bon de le rappeler !
La révolution copernicienne suffirait d’ailleurs à prouver l’intérêt de l’astronomie. L’observation du ciel – et de savants calculs – ont remis l’humain à sa place : non, il n’est pas le centre de l’univers ! Au passage, il a eu bien du mal à l’encaisser… Mais dans l’astronomie, il faut se tenir prêt à prendre quelques grands coups de pied dans les certitudes.
Exemple : il est 21 heures ce 17 mars. Nous sommes une quinzaine d’adultes et d’enfants à être venus assister à une soirée découverte, et nous voilà assis dans le petit amphithéâtre du centre, prêts à écouter la présentation astronomique de Gabriel, un autre médiateur scientifique de l’asso. « Vous vous croyez immobiles ? En ce moment, la rotation de la Terre sur elle-même fait que nous nous déplaçons à plus de 1.000 km/h. En même temps, elle tourne autour du Soleil, à plus de 100.000 km/h. » Même assis, on aura donc parcouru plus de 300.000 kilomètres le temps de cette soirée qui se terminera aux alentours de minuit. On est en fait super rapides ! Quoi que, tout est relatif… « La vitesse de la lumière est d’environ 300 000 km par seconde. Nous, ça nous paraît extrêmement rapide. Mais dans l’espace, c’est un tracteur ! La lumière du Soleil met 8 minutes à arriver jusqu’à nous. Celle d’une étoile visible à l’œil nu met plusieurs années. Quand on observe une étoile située à 40 années lumières, on la voit en fait telle qu’elle était il y a 40 ans. On voit le passé ! »
FAIRE DU FRIC, FAIRE LA GUERRE…
Gabriel passe ensuite en revue quelques-unes des principales constellations observables ce soir-là depuis Saint-Michel L’Observatoire : Cassiopée, Dragon, Serpent, Castor et Pollux qui forment celle du Gémeaux, la petite Ourse et évidemment la Grande, « toujours très pratique pour se repérer dans le ciel, par exemple pour trouver l’étoile Polaire »…
« L’étoile Polaire, c’est la même que l’étoile du Berger ? », interroge un spectateur un peu honteux. « Ce n’est pas une question idiote, et d’ailleurs on me la pose souvent. Mais non, rien à voir. D’ailleurs, on vous ment, car l’étoile du Berger n’est pas une étoile, c’est une planète : Vénus ! » La chanteuse Sheila sait-elle le mal qu’elle a fait à l’astronomie ?! Une bonne heure plus tard, le petit groupe part en extérieur pour regarder le ciel, « en vrai », et tenter de retrouver les constellations jusque-là expliquées à travers des images.
Le ciel est un peu couvert, mais Gabriel et Paloma parviennent toujours à trouver des percées de ciel clair. Les observations à l’œil nu alternent avec des observations par télescopes : ici un amas ouvert, là une nébuleuse, un passage par Mars… Dire qu’il suffit de s’éloigner de la pollution lumineuse des grandes villes et de se planter le nez dans les étoiles pour assister à ce spectacle merveilleux, infini, qui s’offre à tous et toutes sans rien demander en échange… Et pourtant, certains ne voient pas là une source d’émerveillement, mais un espace à conquérir pour faire du fric, ou la guerre. Ce sont d’eux dont nous allons parler dans ce dossier, afin de montrer les dangers qu’ils font peser sur notre ciel et, ce faisant, sur notre planète.
L’espace doit rester un formidable terrain de recherche depuis la Terre, et nous aider à comprendre ce que nous sommes – « des poussières d’étoiles », comme le dit le célèbre astrophysicien Hubert Reeves ? Mais, plus que tout, il est primordial que les marmots puissent continuer d’avoir la possibilité d’observer le ciel pur. À celles et ceux qui nous demanderaient pourquoi, on leur répondrait : parce que !
Nicolas Bérard
Photo : © CENTRE ASTRO