Des conflits d’usage de l’eau font des vagues dans la cuvette grenobloise. Avec l’agrandissement des usines de puces électroniques STMicroelecrtonics et Soitec, l’équivalent de 16 méga-bassines d’eau potable comme celles de Sainte-Soline seraient pompées et polluées chaque année.
Le 15 mars dernier, la grande salle de la maison des associations de Grenoble n’avait pas assez de la centaine de chaises installées. Il y avait du monde pour s’informer sur la mobilisation en cours et la manifestation programmée le 1er avril. À l’initiative du collectif STopMicro38, il est question de dénoncer l’accaparement de l’eau potable par les industriels des nouvelles technologies dans la « Silicon Valley grenobloise ».
À Crolles, à une petite vingtaine de kilomètres à l’est de Grenoble, l’usine franco-italienne STMicroelectronics, en partenariat avec la société américaine GlobalFoundries, investit 5,7 milliards d’euros pour agrandir sa fabrique de puces électroniques. Soitec, industrie voisine du même secteur, fait aussi partie du jeu. Le projet prévoit plus de 1 000 emplois. Doublant sa capacité, l’usine deviendrait « le plus important site de productions de puces français et l’un des plus importants en Europe » (1). En juillet 2022, le président Macron était venu saluer la nouvelle et affirmer le soutien financier de l’État, dans le cadre du plan Électronique 2030, dont les 5 milliards d’euros prévoient de « soutenir l’industrialisation des technologies électroniques en France ».
Il faut dire que la technologie FD-SOI développée en partenariat avec le CEA de Grenoble permettra dans les années à venir de « faire face au problème numéro un de l’électronique : l’impossibilité de réduire toujours plus la taille des transistors » (2).
336L. /seconde
Une course majeure vers l’infiniment petit qui n’est pas sans conséquences, même si le procédé fait partie de « l’électronique frugale », selon un communiqué du CEA. Rappelons l’alerte d’Olivier Véran à l’aube des mobilisations du 7 mars dernier contre la réforme des retraites : « L’absence de pluie depuis plus de trente jours en France fait peser un risque extrême sur l’état de nos réserves en eau pour cet été. » Quand il accompagnait le président sur le site de Crolles, il ne lui a néanmoins pas paru opportun d’évoquer l’état de sécheresse d’alors. Pourtant, là aussi, chaque seconde compte, surtout quand on lit qu’à l’horizon 2023-2024, ce seraient 336 litres d’eau potable par seconde qui seraient utilisés pour faire fonctionner la fabrique, entre le rinçage des plaques de silicium servant à fabriquer les composants, et la climatisation.
336L/seconde, comme l’ont converti certain·es, c’est l’équivalent de 12 piscines olympiques par jour, ou encore 16 méga-bassines comme celles de Sainte-Soline, par an. Mais STMicro travaille pour la bonne cause : « La vie augmentée » (« life augmented », dit son slogan). Les opposant·es, pour simplement vivre, préfèrent : « De l’eau, pas des puces » !
Le Postillon, journal satirique local, propose dans ses trois derniers numéros une enquête approfondie et des articles étayés sur cette affaire, entre le fonctionnement de STMicro, le réseau d’eau de la vallée, les positions des élus, les conflits générés par l’agrandissement de l’industrie.
L’usine pompe l’eau sur le réseau public. Face à sa demande colossale pour les années à venir, les élus locaux imaginent des solutions d’urgence. François Bernigaud, vice-président eau et assainissement de la communauté de communes du Grésivaudan, répondait au Postillon à l’automne 2022 : « Le développement des industriels nous impose de résoudre les problèmes d’alimentation en eau, mais aussi de logement, d’alimentation et de mobilité. Après l’été qu’on vient de passer, c’est vrai que je suis globalement inquiet sur notre capacité à fournir de la bonne eau aux industriels, aux agriculteurs et aux habitants partout sur le territoire. » (3)
Des restrictions pour les riverains et autres travailleurs voisins, mais par pour l’usine. Et en arrière-plan de l’affaire, un raz-de-marée polluant qui s’annonce. Car selon les recherches du Postillon, « de récentes actualités laissent craindre que [les rejets de l’usine dans l’Isère] n’aillent encore plus polluer les nappes phréatiques du coin ». (4)
Lucie Aubin
1 Lessor38.fr, STMicroélectronics : 5,7 Md€ pour construire une nouvelle usine à Crolles, 11 juillet 2022.
2 Les Échos,FD-SOI : la technologie française qui révolutionne l’électronique mondiale, 16 juin 2017.
3 Le Postillon, Les élus prêts à nous assécher, n° 66, automne 2022.
4 Le Postillon n° 68, printemps 2023.
Une manifestation est prévue samedi 1er avril, organisée par le collectif STopMicro38.