Les médias en ont beaucoup parlé, les tests de dépistage du Covid ne sont plus remboursés pour les personnes non vaccinées alors qu’ils restent gratuits pour les vaccinées. On a peut-être raté un épisode médiatique, mais à notre connaissance, la question toute bête de la rupture d’égalité devant l’accès aux soins a très peu été posée. La mesure nous semble pourtant historique, dans le sens où cette rupture de l’égal accès aux soins est ici assumée, voire revendiquée.
Ce n’est pas rien, car ce principe est fondateur de notre système de santé. Tout un chacun, quels que soient ses revenus, mais aussi quel que soit son mode de vie, son comportement, est pris en charge de manière égalitaire : les vieux chauffards alcooliques ont un égal accès aux soins et ne paient pas plus cher que les jeunes cyclistes adeptes de la cure de raisin.
La mutualisation des risques, en particulier ceux de santé, a été un progrès considérable. Le motif est économique : le « pot commun » nécessaire pour couvrir le risque de tous est plus petit que l’addition des « pots individuels ». Plus la mutualisation est large, plus elle profite à l’ensemble des membres. Avec la Sécu, ce pot commun a pu s’élargir, et intégrer des populations jusque-là exclues du système assurantiel, avec un principe essentiel de solidarité doublé d’un principe de non lucrativité : la santé n’est pas une marchandise.
Il faut sûrement arbitrer entre ce qu’il faut rembourser et ce qu’il faut payer de sa poche, c’est politique, on n’est pas tous d’accord, mais ce jeu en vaut la chandelle : un confort amélioré pour tous, et, pour certains (dont nous faisons partie) le plaisir de partager quelque chose fondé sur la solidarité, qui dépasse nos individualités.
Or, l’apathie (qui traduit l’adhésion ?) qui a entouré le déremboursement des tests illustre selon nous le retour en force d’une thématique, vieille comme Hérode, mais toujours aussi perverse : celle de la paille dans l’œil du voisin. C’est la fameuse rengaine libérale du « je paie plus que mon voisin qui profite plus que moi du système », et qui conduit, in fine, à quelque chose qui n’est pas « optimal » économiquement, nous l’avons vu, et qui n’est pas solidaire. L’assurance, de plus en plus individualisée, peut conduire à ce que l’assureur impose un comportement à son client : aux États-Unis, des assureurs comme Manulife créent des partenariats avec Apple portant sur les données d’une montre connectée (pression sanguine, rythme cardiaque, nombre de pas, etc.) et offrent des baisses de cotisations à ceux qui mangent des produits frais… Si on pousse cette logique, on en arrive à la surveillance constante de chacun, surtout du plus pauvre qui n’aurait pas les moyens de contracter une assurance moins policière et donc pas les moyens d’acheter sa liberté.
Mais le libéralisme n’a pas le monopole de la paille. Au nom de l’efficacité dans l’allocation des dépenses de santé de la Sécu, la majorité peut contraindre la minorité à adopter un comportement qu’elle juge plus « vertueux ». C’est exactement ce qu’il se passe avec les tests Covid, auxquels les personnes non vaccinées n’ont plus accès gratuitement, contrairement à celles qui le sont. Poussons cette logique, on en arrive aussi à la surveillance constante de tout le monde.
Rien de nouveau sous le soleil ? Si : le Big data et la numérisation des données de santé, de la montre connectée au « crédit social », en passant par « l’espace de santé numérique », une plateforme mise en place pour chaque Français au 1er janvier 2022. La précision de la détection de paille dans l’œil du voisin va devenir redoutable. Si la solidarité est une barque sur l’océan du capitalisme de surveillance, accrochons-nous, les vaguelettes actuelles annoncent un tsunami.
Fabien Ginisty