En 1978-1979, plus de six-mille emplois étaient menacés dans la sidérurgie à Longwy. Pour sauver les aciéries, les ouvriers ont grondé. Quarante ans plus tard, Longwy se souvient de ce joli bras de fer.
Retour sur cette période de liberté, de lutte et de créativité.
«On va peut-être crever, mais on va crever debout ! »
Ce slogan aurait pu être hurlé dans les rues de la capitale lors des manifs de mai 68. Mais c’est dix ans plus tard qu’un syndicaliste, un « gars de la CFDT », va le prononcer à Longwy, une petite ville de Meurthe- et-Moselle en ébullition après l’annonce de la suppression de milliers de postes dans la sidérurgie et les mines.
En 1978, le gouvernement de Raymond Barre pond le plan Davignon, concocté à Bruxelles, qui signe l’arrêt de mort du travail de l’acier dans le Nord de la France. Longwy est durement touchée. Usinor prévoit 6 000 emplois supprimés. La ville communiste va alors entrer en résistance de la plus belle des manières. Avec l’appui des syndicats, elle multiplie les actions « coup de poing », les manifestations et les initiatives parfois loufoques mais toujours contestataires.
C’est la naissance de la « République populaire de Longwy », un épisode souvent méconnu de l’histoire des mouvements sociaux en France, célébré en juin dernier en Moselle avec des débats et des projections. À cette époque, Guy-Joseph Feller est journaliste à la locale de Longwy. Il participe aux assemblées générales et aux manifs avec les ouvriers en lutte.
Un camion haut-parleur de la CGT appelait les longoviciens à venir manifester et il y avait 20 000 personnes dans la rue pour soutenir les sidérurgistes. Tout le monde était touché à Longwy par ces suppressions d’emplois.
Son journal, Le Républicain lorrain, titre le 13 décembre 78 : « Usinor frappe Longwy à mort ! ». La bataille est lancée. Et personne ne sait quand elle va s’arrêter.
Occupation du crassier, vol de la coupe de France…
La première action des grévistes est d’occuper le « crassier » de Longwy, cette montagne noire baptisée « le Fujiyama » en raison de sa forme pointue et de son impressionnante hauteur : 70 mètres de haut.
Tout en haut du terril, des syndicalistes ont monté une énorme enseigne lumineuse en forme de SOS. Ce n’est que le début d’une longue série d’opérations « coup de poing ». Pas moins de 80 actions sont lancées en quelques mois. « Des voies ferrées ont été bloquées, un relais de télévision, la Banque de France, des ambassades ont été occupées », poursuit Guy-Joseph. La sous-préfecture est incendiée. Une étape du Tour de France est perturbée.
En août 1979, un « commando » de la CFDT vole la coupe de France, remportée deux mois plus tôt par le club de foot de Nantes. Le trophée va faire le tour du marché de Longwy avant d’être restitué à son propriétaire.
L’idée était de faire parler de Longwy, de faire bouger la ville. Et ça a marché. Les médias du monde entier ont fait le déplacement. Je me rappelle avoir croisé une télé brésilienne qui était venue pour couvrir l’événement.
Guy-Joseph Feller rencontre également Cabu, venu faire un reportage dessiné sur les événements sociaux. Même Johnny Hallyday, coiffé d’un casque de chantier sur lequel on lit « Longwy SOS Emploi CFDT », va visiter les installations sidérurgiques et découvrir les conditions de travail des ouvriers de la fonte.
Le 23 mars 1979, une grande manifestation intersyndicale rassemble à Paris plus de 200 000 personnes. Du côté des policiers, rien n’a changé, ou presque. Alors que l’époque actuelle et aux évacuations musclées, à Bure et Notre-Dame-des-Landes, Guy-Joseph se sovient des relations déjà tendues avec les CRS : « Un journaliste s’est fait fracasser la jambe lors des affrontements avec les forces de l’ordre. »
La riposte des sidérurgistes ne se fait pas attendre. « Les ouvriers ont attaqué le commissariat de police de Longwy au bulldozer », continue Guy- Joseph. Devant cette avalanche de violence, il conclut pourtant que l’ambiance était « bon enfant ».
Deux radios pirates, un journal et une télé
La créativité des sidérurgistes est sans limite. Pour faire entendre leur voix, les longoviciens vont très vite inventer des médias indépendants et illégaux, qui sont suivis par une énorme majorité de la population.
Deux radios pirates voient le jour : « SOS emploi » lancée par des membres de la CFDT puis « Lorraine cœur d’acier », diffusée par la CGT depuis l’hôtel de ville. Un journal, L’insurgé du crassier, est lancé. Première mondiale : une télé pirate va également émettre pendant quelques heures.
« Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge, lève-toi car il est temps ! »
Ces paroles sont celles du Chiffon rouge de Michel Fugain, la chanson fétiche de Lorraine Cœur d’Acier, l’une des premières radios pirates en France.
Marcel Trillat, l’un de ses deux journalistes, dira lors de son lancement : « Cette radio est la radio de l’espoir. » Elle est ouverte à tous. Beau- coup de gens investissent les ondes et prennent la parole pour raconter leur quotidien. D’ailleurs, les hélicos du ministère de l’info tentent régulièrement de brouiller les ondes. L’aventure prendra fin quinze mois plus tard, suite à une décision brutale de la CGT.
40 ans après, que reste-t-il de cette dure lutte qui n’a finalement pas pu empêcher le démantèlement de la sidérurgie ?
Maxime Simone, fils d’ouvrier, est originaire du bassin. Il a réalisé un court-métrage baptisé Le spectre du fer, présenté lors de la semaine anniversaire des événements de Longwy.
« J’ai fait ce film pour pointer la mort de l’usine et des souvenirs qui vont avec. »
Avec son regard de jeune cinéaste, il a fait le pari de la fiction.
Le personnage est un ancien ouvrier qui revient 30 ans après sur les lieux de la contes- tation. Il traverse les friches et là, c’est le choc. Il n’y a plus rien. Des usines délaissées comme Longwy, il y en a plein dans le monde. C’est aussi l’envie de partager avec les gens un morceau oublié de l’Histoire.
Autre film : l’américain Steve Bingham a filmé la colère de 1979.Il en a tiré un film intitulé sobrement Longwy. En juin dernier, il est lui aussi retourné en Meurthe- et – Moselle pour raconter ses souvenirs.
Aujourd’hui, tout a été rasé. Les hauts-fourneaux ont été abattus les uns après les autres. Ils ont laissé la place à un green de golf 12 trous. Mais dans l’esprit des gens, le souvenir reste intact.
Clément Villaume
Au sommaire du numéro 135 – Novembre 2018 :
- EDITO : Ode aux chercheurs chafouins nocivité des ondes : une première judiciaire
- Campagne d’abo ! On continue !
- Espagne : Les oliviers d’Oliete
- Entretien : Encore un circuit automobile dans l’Aisne
- Livre : La « mondophagie » du tourisme
- Reportage : Oléron carbure à l’huile de friture
- Total s’enlise dans l’huile de palme
- Infographie : Médias français : qui possède quoi ?
- Les actualités : Marseille : le feu à la plaine
- Grrr ondes : Santé et champs électromagnétiques : ne cherchons plus
- Reportage : L’arche de stella
- Climat : Entretien avec Mariama Diallo, Alternatiba Dakar
- Fiche pratique : pas bêtes les sacs !