Felis silvestris silvestris. Rien qu’à prononcer ce nom, j’imagine les coussinets des pattes robustes et souples se poser silencieusement sur l’humus des sous-bois. Le chat forestier européen est l’un des derniers petits félins sauvages autochtones de notre continent. Il fait l’objet d’une étude de l’Office français de la biodiversité, en Seine-et-Marne et en Essonne, pour « améliorer la connaissance sur cette espèce » et « mieux la protéger ». En plus de ce travail mené selon un protocole bien précis, il est « important d’ouvrir l’œil et de signaler toute observation d’individus vivants ou de cadavres le long des routes présentant un phénotype proche de celui du chat forestier », précise l’Office.
C’est quoi, le « phénotype » du chat forestier ? Sa robe est grise ou fauve clair légèrement rayée, sa queue épaisse avec deux à quatre anneaux noirs complets et terminée par un manchon noir. Sa bande dorsale, unique et fine, s’arrête à la base de la queue. Son pelage le distingue d’un chat domestique tigré, dont les rayures sont présentes sur l’ensemble de la robe, et dont la bande dorsale peut comporter des interruptions. Le forestier a aussi un crâne plus grand et un intestin plus court… Mais c’est plus difficile à constater.
Me revient le souvenir d’un corps de félin aperçu sur le bas-côté de la route, quand j’étais petite. Mon père nous avait dit que c’était un « vrai » chat sauvage. Il dégageait dans la mort une force qui n’avait rien à voir avec celle des matous ensauvagés que j’apprivoisais à coups de chemins de croquettes. Il me semblait tellement mystérieux…
La Société française pour l’étude et la protection des mammifères fait une jolie description de ses mœurs. « Crépusculaire et nocturne », « très discret, solitaire et territorial », il habite « les forêts de feuillus, les taillis et les bordures de cultures peu intensives ». Son idéal ? « Une mosaïque de vastes massifs forestiers, bordés de prairies naturelles. Il apprécie les lisières de bois mais aussi les zones humides et marais. En hiver, il occupe plutôt des terriers creusés par d’autres espèces, comme le blaireau, et peut être amené à cohabiter avec le renard roux. » Espèce protégée depuis 1979, il est menacé par les routes, la fragmentation de ses habitats, les tirs, les pièges, ou encore l’empoisonnement des rongeurs. Même s’il reprend du poil de la bête, les spécialistes ont du mal à évaluer ses effectifs : l’animal est très discret, et il a tendance à se confondre avec le chat domestique.
Felis silvestris catus, alias Minou, descendrait de Felis silvestris lybica, le chat sauvage d’Afrique. Attiré par les rongeurs au début de la culture des céréales, il a commencé à se rapprocher des humains il y a plus de 8 000 ans. Il était présent en Europe dès l’époque romaine.
À ce stade de mes lectures, quelque chose commence à me chiffonner. Un sentiment bizarre provoqué par ces études génétiques et ces critères qui cherchent à distinguer les individus « typiques », « purs », des « indéfinis » et des « hybrides ». Nous avons compris que ce genre de considérations, appliqué au genre humain, était dangereux. Mais il nous semble normal de nous en servir pour les autres animaux : c’est de la science et de la protection de la biodiversité…
Dans une vidéo naturaliste, une caméra cachée a filmé les passages d’une femelle de chat forestier avec ses petits. Déception du commentateur : la mère a frayé avec un chat domestique. L’hybridation est un « gros problème pour le chat forestier », estime cet amoureux de la nature. Les matous peuvent certes transmettre des maladies à leurs cousins sauvages. Mais à part ça, qui sommes-nous pour juger des accouplements du chat forestier ? Il n’y a vraiment que l’être humain pour se mêler ainsi de la sexualité d’autrui ! Et si on cessait plutôt de grignoter leurs espaces de vie ?
Lisa Giachino