Dans les océans, le son est très utilisé par la faune. Elle doit composer difficilement avec la pollution sonore générée par l’activité humaine, de plus en plus présente. En 2020, les scientifiques profitaient du calme du confinement pour effectuer des enregistrements.
Le monde du silence. En réalisant son documentaire dans les années 1950, le commandant Cousteau a fait découvrir le monde sous-marin à des millions de personnes. Seul problème de ce magnifique film : le titre, quelque peu trompeur… Car si les océans peuvent paraître silencieux aux humains, c’est parce qu’ils n’ont pas le système auditif adapté à ce milieu. En fait, « il y a sous l’eau un concert permanent », indique Zacharie Bruyas, salarié du Parc national des Calanques, à Marseille.
En milieu aquatique, la vision est limitée, et le son représente donc un élément essentiel à la vie des animaux. « Du plus petit mollusque à la grande baleine bleue, en passant pas les calamars, les tortues et les poissons, les espèces marines comptent beaucoup sur le son pour survivre et mener à bien toutes leurs fonctions vitales : se déplacer, se nourrir, trouver des partenaires pour se reproduire, éviter les prédateurs… », ajoute Camille Vicet, de l’ONG Ifaw (1).
Malheureusement, ce « concert » est désormais en grande partie couvert par un puissant brouhaha, créé par les activités humaines. « Il y a deux types de pollution sonore d’origine
anthropique, explique Camille Vicet. D’abord, un bruit ambiant, qui ne sera pas forcément très fort, mais continu, principalement causé par la navigation commerciale : le bruit de la coque sur l’eau, du moteur, et le phénomène de cavitation (les bulles d’air qui se créent autour de l’hélice et qui éclatent). Ensuite, les bruits impulsifs. Ils sont temporaires, mais beaucoup plus élevés : il s’agit des technologies qui utilisent l’énergie marine comme les hydroliennes, des sonars militaires, et de tout ce qui relève de l’exploitation pétrolière et gazière. Tout cela crée un brouillard acoustique permanent qui perturbe les espèces. »
UNE POLLUTION QUI DOUBLE TOUS LES 10 ANS
Parmi les espèces les plus étudiées, les baleines confirment l’importance de ce paramètre. Ainsi, plusieurs échouages de ces mammifères ont été directement reliés à l’utilisation de sonars militaires dans la même zone. Plus réjouissant : des scientifiques ont pu enregistrer des baleines communiquer entre elles en se trouvant à plusieurs milliers de kilomètres l’une de l’autre !
Ce type de conversation pourrait-il encore avoir lieu de nos jours ? Pas sûr. Mondialisation, société de consommation, explosion des échanges maritimes… Le bruit d’origine humaine est de plus en plus fort. Son volume doublerait chaque décennie depuis 40 ans !
L’ONG Ifaw propose des solutions pour réduire ce phénomène, contre lequel il n’existe quasiment aucune réglementation internationale : rénovation des navires, adaptation des hélices pour les rendre plus silencieuses… « On milite aussi beaucoup pour une réduction de la vitesse des navires commerciaux. En réduisant leur allure de 10 %, ils sont moins bruyants et émettent moins de gaz à effet de serre », indique Camille Vicet, qui précise que la moitié de la pollution sonore due aux navires marchands est produite par seulement 15 % de la flotte mondiale.
Encore plus efficace que ces mesures : le confinement imposé par la pandémie de Covid-19. « Ce que l’on sait, c’est que le trafic maritime a chuté, rapporte Camille Vicet. Pour le moment, nous n’avons pas de données scientifiques sur les conséquences de ce confinement, mais on peut quand même supposer que la pollution sonore est en baisse dans les océans. C’est l’avantage de la pollution sonore : dès qu’on retire les sources de cette pollution, elle disparaît ! »
RORQUALS DANS LES CALANQUES
Dans le Parc national des Calanques, si les données scientifiques manquent également à
ce jour, les constatations humaines confirment l’idée d’une accalmie accordée aux habitants
des océans. « Ce qu’on observe, c’est d’abord un grand calme en mer, explique Zacharie
Bruyas. Il y a très peu de monde, mis à part quelques pêcheurs professionnels. Et du coup, nous avons une grande régularité dans les observations naturalistes. » Les rencontres avec les dauphins sont par exemple très régulières. Mais ce n’est pas tout : le 7 avril, une équipe du Parc a eu la chance d’observer deux rorquals communs. « D’habitude, on peut les voir dans le cadre de suivis sur les cétacés : on va un peu plus loin en haute mer, on y passe la journée, on est à leur recherche, et même dans ces conditions, il n’est pas acquis de les voir. Là, c’est la première fois que nous les avons vus de façon inopportune, et aussi proches des côtes… »
Si les données scientifiques manquent encore pour quantifier la baisse de la pollution sonore et les effets que peut avoir cette diminution sur les animaux, les spécialistes entendent bien profiter de cet événement pour parfaire leurs connaissances. « Nous allons prochainement poser des capteurs sous l’eau afin d’étudier le bruit de la faune pendant cette période de confinement, qui est inédite. C’est la première fois que nous aurons une mer aussi silencieuse du point de vue de l’activité humaine », se réjouit Zacharie Bruyas.
Nicolas Bérard