Pour une hydrologie régénérative : c’est le nom de l’association créée en 2022, qui bat la campagne (et la ville) pour expliquer combien il est important de rétablir le cycle naturel de l’eau. Sa proposition prend à contre-pied les politiques actuelles de pompage et d’adaptation à la sécheresse. Samuel Bonvoisin, l’un des fondateurs, explique pourquoi… et ce que chacun·e peut faire.
L’âge de faire : L’hydrologie régénérative, ça vient d’où ?
Samuel Bonvoisin : On a choisi ce terme pour désigner la science de la régénération des cycles de l’eau, par l’aménagement du territoire. C’est balbutiant : on récupère des données éparses auprès des hydrologues, hydroclimatologues, hydrogéologues… pour comprendre. Les données évoluent, mais sont assez peu diffusées. Il devient urgent d’expérimenter.
En quoi votre approche est-elle nouvelle ?
Dès qu’on parle de changement climatique, on parle de gaz à effet de serre. Or, la transformation des paysages aussi a une incidence. Avec le remembrement agricole, on estime qu’1 million de kilomètres de haies et 800 000 mares ont été supprimés en France. La profondeur moyenne des sols était de 23 cm il y a deux siècles, elle est aujourd’hui de 15 cm. Or, selon la FAO (1), la matière organique peut retenir environ vingt fois son poids en eau. Enfin, avec la politique du tout-tuyau généralisée dans les années 60, l’eau est évacuée au plus vite des caniveaux vers les égouts, en ville et sur les bords des routes. Les paysages n’ont plus la même capacité de stocker l’eau dans le sol, le sous-sol, la végétation et l’atmosphère. L’enjeu, c’est de travailler dans le sens exactement opposé à ça : ralentir, répartir, infiltrer, stocker.
Comment ça se passe concrètement ?
Pour ralentir l’eau, on utilise des techniques agronomiques : couvert végétal, culture sur sol vivant… Il faut aussi répartir son infiltration, car elle a tendance à fuir les crêtes et se concentrer dans les vallées. Par exemple, le Keyline design (2) utilise les courbes de niveaux pour que les sillons de culture dispersent l’eau. Pour infiltrer l’eau, on convoque des techniques ancestrales. Les baissières ou béals sont des fossés d’infiltration qui suivent les courbes de niveau. Les fascines sont de petites barrières de branchages posées sur de fortes pentes. Il y a aussi les terrasses, les bassins d’infiltration…
Et en dehors de l’agriculture ?
On réfléchit par bassin versant. En forêt, on travaille sur l’étagement des arbres. Sur les rivières, on ralentit, on refait du méandrage, on imite les barrages des castors… Et en zone urbaine, on désimperméabilise, on végétalise, on sort de la logique de l’évacuation des eaux. Des techniques, il y a en a plein ! Maintenant, pour avoir un impact à grande échelle, il faut repenser nos politiques agricoles et de gestion des eaux pluviales, et organiser d’urgence un nouveau remembrement !
Un remembrement ?!
Il faut qu’on se retrousse les manches, qu’on se réunisse dans tous les villages, et qu’on se dise : comment on ne laisse plus d’eau fuir le village, on plante des haies, on réaménage des mares ?
Vous vous appuyez sur des expériences existantes ?
Dans les années 50 à 70, Percival Alfred Yeomans, en Australie, a repris la ferme familiale devenue très aride. Fallait-il changer les variétés cultivées pour s’adapter ? Il a choisi d’aller dans le sens opposé, en aménageant le paysage pour qu’il y ait le plus d’eau possible. Son travail a été repris à titre individuel, mais aussi à l’échelle de territoires, en Chine et en Jordanie. En Inde, grâce à la fondation Paani et au financement d’un acteur de Bollywood, des habitants du Maharashtra ont creusé à la houe des milliers de kilomètres de baissières. Quatre ans plus tard, le résultat est incroyable. En France, il y a plein d’exemples, surtout en permaculture, mais seulement par petites touches. Et en 2022, quand la sécheresse a bousculé tout le monde, des agriculteurs qui manifestaient contre les mégabassines ont demandé : on n’en veut pas… mais qu’est-ce qu’on veut ?
Etes-vous à contre-courant ?
Une partie du monde de l’hydrologie a commencé à bouger, et il y a de plus en plus de « villes perméables ». Par contre, avec les débroussaillements des sous-bois, on tue la forêt (lire ci-dessus). En agriculture, on fait du pompage, de l’irrigation, et la réponse politique à la sécheresse est celle de la sobriété : remplacer les cultures par des variétés moins gourmandes en eau. Ça ne répond pas au problème, au contraire : on crée des déserts. Attention, s’adapter et régénérer, ça n’a rien à voir !
Vous voulez dire qu’en s’adaptant à la sécheresse, on ne fait que l’accompagner ?
Cette course permanente à l’adaptation est mortifère : l’eau, c’est pas une ressource comme du pétrole, dont il faut simplement limiter l’utilisation ! On est dans un cycle, rendu fonctionnel par les plantes qui y participent. Par exemple, dans le Sud de la France, on est en train de remplacer le maïs par du sorgho, plus adapté à la sécheresse, car il a moins besoin de faire de l’évapotranspiration pour son processus de photosynthèse. Du coup, on a moins de transfert d’humidité !
On sait que rétablir le cycle de l’eau a des effets sur le climat local. Et au-delà ?
On parle de géopolitique de l’eau par rapport aux rivières, mais il y a aussi une géopolitique atmosphérique. Les pays continentaux, éloignés de l’évaporation des océans (l’eau bleue), sont plus dépendants que les autres de l’évapotranspiration des végétaux et du sol (l’eau verte). Une fois l’eau renvoyée dans l’atmosphère, en moyenne, elle y reste neuf jours, et parcourt 200 à 500 km, avant de retomber sous forme de pluie. Le lieu où tombe la pluie est influencé par les masses d’air et les vents dominants. Or, en changeant le paysage, on change les masses d’air (3). En Europe, si les pays côtiers [qui bénéficient de l’eau bleue, ne renvoient plus assez d’eau verte dans l’atmosphère], l’Allemagne et l’Autriche vont se retrouver à sec ! À l’inverse, si on plante massivement dans le sud de la France, on freine l’avancée du désert.
Si on n’est ni paysan ni élu d’une collectivité, qu’est-ce qu’on peut faire ?
Tous les gens qui ont un espace extérieur, peuvent faire un jardin de pluie en débranchant leur réseau d’évacuation des eaux pluviales (lire p.19), et planter des écosystèmes jardin-forêt. Ils peuvent sensibiliser, commune par commune, bailleur social par bailleur social, à l’intérêt que l’eau s’infiltre dans le sol plutôt qu’elle ne parte à la station d’épuration, ce qui coûtera moins cher. Les naturalistes, eux, peuvent aider à réhabiliter le castor : le fait de l’avoir éradiqué a contribué à perturber le cycle de l’eau.
Recueilli par LG
Entretien téléphonique complété par la conférence de Samuel Bonvoisin : « Et si nous pouvions cultiver l’eau ? »
1- Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies. 2- Conception sur lignes clés. 3- Un sol artificiel, non couvert, dégradé, renvoie plus de chaleur dans l’atmosphère.

SOMMAIRE COMPLET DU DOSSIER
- « S’adapter et régénérer, ça n’a rien à voir ! »
- Faire avec plutôt que contre la nature
- Slovaquie : le « nouveau paradigme de l’eau » en pratique
- « Renaturation », après la politique de la terre drainée, le retour aux sources ?
- Activer le « fluvio-sensible » pour défendre les rivières
- Les gouttes d’art font les grandes luttes