De plus en plus d’entités vivantes, végétales ou animales, voient leurs droits juridiques reconnus. En France, des collectifs citoyens défendent ceux des fleuves. Le Parlement de l’Isère a été lancé récemment, pour la protection de tout le bassin versant.
« Cela vient des expériences de peuples autochtones d’Amérique du sud », relate Philippe Dubois, président de France nature environnement Isère (FNE). En 2020, l’État bolivien a reconnu dans sa Constitution le concept de Pachamama, Terre mère. En Équateur, également, la Constitution garantit les droits de la nature depuis 2021. Dans le Minnesota, le riz sauvage Moomin, ressource alimentaire mais aussi « parent » de peuples autochtones d’Amérique du Nord, s’est défendu face aux mines de sulfate, pour conserver ses droits « d’exister, de s’épanouir, de se régénérer et d’évoluer ». Et les exemples se multiplient : le fleuve corse Tavignanu en 2021 a vu ses droits reconnus, de même que les tortues et requins des îles Loyauté de Nouvelle-Calédonie en 2023, les dauphins en Inde…
Convergence des rivières
Forte de ces reconnaissances, et à l’instar d’autres initiatives en France comme le Parlement de la Loire, l’Appel du Rhône, ou encore pour la Seine, la Garonne, la Charente… (1), FNE a initié un regroupement pour l’Isère et tout son bassin versant (environ 300 affluents et quatre départements traversés). Plusieurs associations réunies (2) portent le Parlement de l’Isère, afin notamment de lui donner une existence juridique. Elles s’appuient sur plusieurs constats. L’éparpillement d’une gestion de l’eau mal comprise par les citoyens, une baisse du débit de 50 % à prévoir d’ici 2050, un accaparement par les industriels, des pollutions alarmantes (lire p. 11)… « La rivière n’est pas qu’une ressource, c’est une entité à part entière, que l’on doit reconnaître comme personne non humaine, tout comme une société est reconnue comme personne juridique », estime Philippe Dubois. Chaque fleuve a ses constituants spécifiques, ses poissons, ses ripisylves, ses courants, son lit, ses usages… L’Isère et le Drac – dont le nom dérive du mot dragon – sinueux et capricieux du fait de la fonte des neiges ont été domptés à force d’aménagements « béton ».
Élection de gardien·nes
Parmi les priorités : l’accès aux données et la participation citoyenne. « Il s’agit de reprendre le pouvoir, le redonner aux citoyens, les laisser s’exprimer. » Et pas seulement dans des réunions. Le collectif souhaite activer l’imaginaire et l’artistique autour du « fluvio-sensible », comme le propose également Hydromondes (lire p. 11). Les premières présentations sont applaudies, côté citoyens. Des étudiants en urbanisme, architecture, sciences politiques s’emparent du sujet. Côté institutions locales et gestionnaires, c’est encore mutique. « Pour éviter une guerre de l’eau, prônons l’idée de se mettre autour de la table et de discuter des usages. Le Conseil départemental a refusé, alors qui va le faire ? Nous ! » La demande de soutien du Parlement à l’Agence de l’eau, pour créer un observatoire de l’eau qui soit neutre et animer un réseau, est restée lettre morte. Ce qui n’empêchera pas le Parlement de tenir une première session à l’automne. « Dans notre système anthropocentré, la nature se défend avec des gardiens », souligne Philippe Dubois. L’idée est donc d’aboutir à une déclaration de droits et à l’élection de plusieurs porte-parole pour l’Isère.
Lucie Aubin
Pour en savoir plus : parlement-isere@gresille.org
1- Une pétition est en cours pour le fleuve Charente, sur change.org
2 – FNE Isère, l’Assemblée des Communs, Civipole et le Jardin des Initiatives.
SOMMAIRE COMPLET DU DOSSIER
- « S’adapter et régénérer, ça n’a rien à voir ! »
- Faire avec plutôt que contre la nature
- Slovaquie : le « nouveau paradigme de l’eau » en pratique
- « Renaturation », après la politique de la terre drainée, le retour aux sources ?
- Activer le « fluvio-sensible » pour défendre les rivières
- Les gouttes d’art font les grandes luttes