Après la Seconde guerre mondiale, le remembrement agricole de la France a mobilisé les terres et les agriculteurs du Morbihan. Ces politiques ont supprimé des écosystèmes complexes en « optimisant » les cours d’eau. Aujourd’hui, l’heure est à la marche arrière. Zoom sur la « renaturation ».
Au sud de la Bretagne, le département du Morbihan a les pieds dans l’eau. Bordé par l’Atlantique, le reste du territoire est maillé par pas moins de 11 000 km de cours d’eau (1). Ces rivières, fleuves, ruisseaux… sont mobilisés dans l’effort de remembrement de l’agriculture post-Seconde guerre mondiale. Des cours d’eau, autrefois sinueux, sont « rectifiés » (2), c’est-à-dire mis en ligne droite afin d’en améliorer le débit. Le drainage des zones humides porte le dernier coup aux écosystèmes complexes qu’ils abritent. Ces aménagements ont eu pour conséquence un moindre rechargement des nappes phréatiques et une augmentation des inondations.
Scientifiques et acteurs locaux se saisissent de la question dans les années 90. Il faut encore une dizaine d’années avant de voir les premiers travaux allant à contre-courant du remembrement imposé à la sortie de la guerre. « Avant on faisait surtout de la diversification. Ça veut dire qu’on revenait mettre du bois, des cailloux pour faire déborder le cours d’eau. Ce n’était pas satisfaisant sur le long terme », explique Arnaud Cholet, responsable de la cellule d’Animation et de suivi des travaux en rivières et milieux aquatiques (Aster), au Département.
La solution de la « renaturation »
Dès lors, à partir de 2015, des travaux plus ambitieux de « renaturation » ont été entrepris. L’objectif : redonner aux cours d’eau leurs lits d’avant le remembrement. Les premiers travaux ont été menés sur les plus détériorés, dans l’est du département. « L’objectif en remettant le cours d’eau dans son lit avec le bon gabarit c’est qu’il puisse à la fois déborder et apporter toute la vie attendue », complète Arnaud Cholet.
La cellule Aster coordonne chaque année la restauration d’une dizaine de kilomètres de cours d’eau dans le Morbihan. Avec plusieurs effets. « Dans la mesure où on crée des habitats variés, on retrouve toute une cohorte d’espèces. » Parmi cette faune et cette flore, des retours de populations protégées sur le massif armoricain, comme les libellules Agrion de Mercure ou des plantes de berges comme le coléanthe délicat.
Une démarche discutée
Pour Simon Dufour, ces résultats prouvent l’utilité du projet. Il est chercheur en géographie et travaille depuis une vingtaine d’années sur les dynamiques de gestion et de restauration des cours d’eau. Il indique toutefois qu’il est primordial de questionner la notion de « renaturation ». Le chercheur fait remonter les premières dégradations de cours d’eau à l’époque gallo-romaine, ensuite amplifié au cours du Moyen âge, par l’installation de moulins. D’autre part, si sur le terrain, Arnaud Chollet vise un retour à un état physique du cours d’eau pré-remembrement, Simon Dufour est plus pragmatique. « On ne peut pas retrouver l’état d’avant. Revenir en arrière c’est intéressant, ça permet d’ouvrir le débat et d’engager un dialogue social mais ça ne doit pas être l’objectif. » L’objectif doit être un accord collectif sur des mesures de réhabilitation, de concert avec tous les usagers du cours d’eau. Aussi, pour lui, la solution est démocratique ou n’est pas. Et en cas d’abus d’un usager ? « Il faut être capable de mobiliser le droit. Il y a déjà du droit qui existe, le problème c’est de le respecter ». Toutefois, avant de voir des procès à l’issue favorable pour ces écosystèmes, de l’eau peut couler sous les ponts.
Valentin Martinot
1- D’après l’inventaire des cours d’eau réalisé par les services de l’état en janvier 2020.
2 – Au sens du Dictionnaire encyclopédique de l’hydrologie urbaine et de l’assainissement.
SOMMAIRE COMPLET DU DOSSIER
- « S’adapter et régénérer, ça n’a rien à voir ! »
- Faire avec plutôt que contre la nature
- Slovaquie : le « nouveau paradigme de l’eau » en pratique
- « Renaturation », après la politique de la terre drainée, le retour aux sources ?
- Activer le « fluvio-sensible » pour défendre les rivières
- Les gouttes d’art font les grandes luttes