On n’arrête pas l’information. Elle part toujours à l’heure, et arrive à destination avec une étonnante ponctualité. Toujours, ou presque : lorsque Nicolas Sarkozy a été placé en garde-à-vue, fin juin, la plupart des chaînes d’information et des radios ont mis en place des éditions spéciales. Ce ne fut pas le cas pour la grève des cheminots. On comprend que le sort de l’ancien président puisse intéresser les auditeurs et téléspectateurs. Pourtant, quoi qu’en pensent ses plus dévoués serviteurs, le sort des Français n’est pas lié au destin d’un homme. En revanche, ils sont tous concernés par la question des transports publics.
En cela, la grève des cheminots méritait certainement, elle, des éditions spéciales. Ce ne fut pas le cas, elle n’a eu droit qu’au traitement classique : quelques minutes dans chaque flash. Lesquelles consistaient, bien souvent, à indiquer quel pourcentage de trains (des vrais) seraient annulés ou « perturbés ». Ces chiffres étaient ensuite souvent mis en balance avec le pourcentage de grévistes, étonnamment faible et contesté par la CGT et Sud, les deux syndicats qui ont mené la fronde. Le ministre des Transports avait ensuite beau jeu d’affirmer que plus de 80 % des Français désapprouvaient le mouvement des cheminots. Un chiffre d’autant moins étonnant qu’il fut aussi répété sur les ondes que la SNCF traîne derrière elle une dette de 50 milliards d’euros… La réaction est immédiate : il faut réformer ! Mais comment ? Quelles seront les conséquences à court et long terme de la réforme proposée par le gouvernement ? Un service public n’est-il pas voué à être endetté ? Trop tard pour répondre : le train de l’information est arrivé à quai, veillez à ne rien avoir oublié sous vos sièges avant de descendre du wagon.
CIRCULEZ, Y A RIEN À VOIR !
Ce que prépare la réforme, c’est l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire, imposée par l’Europe qui s’appuie en cela sur sa Constitution. C’est à dire celle qui a été rejetée par la majorité des Français lors du referendum de 2005, et qui a, par la suite, été adoptée sans nouvelle consultation. Bref, cette Constitution dont les Français ne voulaient pas, mais qui s’impose aujourd’hui à eux. Elle n’était pas légitime ? Aujourd’hui, sachez-le, elle l’est ! Le débat a déjà eu lieu, il est désormais définitivement clos : le train de l’information n’est pas équipé de la marche arrière.
Pourtant, outre leur statut professionnel, les cheminots tentaient aussi de défendre le maintien d’un service public. Et c’est bien cette question qui aurait pu, si le débat avait été posé, attirer un soutien populaire aux cheminots. La Grande Bretagne, où le ferroviaire est depuis bien longtemps dans les mains du privé, offre un exemple de ce que pourrait être le transport de demain : les accidents, parfois mortels, y sont beaucoup plus nombreux qu’en France, qui n’en compte quasiment aucun. Pourquoi ? Parce que la sécurité des voyageurs, ça ne rapporte pas beaucoup…
Et puis, il y a les enjeux de demain : les transports représentent près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Chacun s’accorde à dire qu’il faut développer le fret ferroviaire pour les réduire. Mais ce secteur ne décolle pas, semble même « abandonné » par la SNCF, et, comme le souligne le Mouvement national de lutte pour l’environnement, « la libéralisation imposée par Bruxelles devant être la solution a au contraire accéléré le processus, les nouveaux opérateurs ferroviaires [ayant] pris le fret à la SNCF et non à la route ».
Le secrétaire général CGT de la fédération des cheminots a envoyé une lettre à l’ensemble des « grands » des médias “Le projet de loi gouvernemental vise à détruire un grand service public national en déstructurant une grande entreprise publique, c’est un élément qu’il fallait mettre en débat. Comme pour la réforme pénitentiaire en cours de discussion ou la réforme des rythmes scolaires (…), celle du système ferroviaire n’est pas financée et la France entière va en subir d’énormes préjudices, voilà un sujet qui méritait d’être porté à la réflexion.”
Trop tard : les flashs d’info sont terminés, terminus, tout le monde descend.
Nicolas Bérard