Par Henri Sterdyniak, économiste atterré.
Le XXIe siècle verra sans doute quelques firmes mastodontes jouer un rôle de plus en plus dominant dans l’économie mondiale. Ce seront les empires du siècle, avec leurs seigneurs et leurs serfs, qui auront autant, sinon plus de pouvoir, sur la vie des générations futures que les Etats.
Ces firmes, nous les voyons grossir, prendre de plus en plus d’importance. Elles bénéficient des possibilités qu’offre internet. Elles peuvent facilement lever des capitaux : en ces temps de liquidités abondantes, il leur suffit de convaincre quelques banquiers et financiers qui leurs ouvrent des lignes de crédit quasi-illimités ; elles peuvent ainsi être à l’affut des progrès techniques, acheter à prix d’or les brevets innovants ou censés l’être, augmenter leur influence grâce à l’effet d’économie d’échelle et de réseau : le client préfère utiliser un logiciel qui a déjà beaucoup d’applications et d’utilisateurs qu’un nouveau logiciel. Il est important d’être le premier à développer un produit, d’où leur frénésie d’innovation.
C’est Amazon, qui conquiert des positions dominantes dans la diffusion d’objets culturels. Le libraire compétent est remplacé par un manutentionnaire beaucoup moins bien rémunéré ; Amazon, devenu acheteur dominant, va pouvoir imposer ses prix à ses fournisseurs, au détriment des éditeurs ou des producteurs. Surtout Amazon va pouvoir favoriser tel ou tel produit culturel, refuser de vendre celui-ci ou du moins décourager ses achats. Une entreprise multinationale opaque va progressivement prendre le contrôle de l’univers culturel.
Des règles de fonctionnement socialement décidées
C’est Google qui peut choisir les sites vers lesquels elle oriente les demandes des utilisateurs, qui peut promouvoir les sites qui lui versent des redevances, qui met en vente des mots-clefs, qui détourne les recettes publicitaires à son profit, et ne respecte guère les règles de respect de la vie privée. C’est Apple qui peut choisir les logiciels et les applications qu’elle propose à ses clients, qui organise l’obsolescence accélérée de ses produits. C’est Booking.com qui impose des commissions importantes aux hôtels qu’elle référence. Ces firmes se caractérisent aussi par des stratégies d’optimisation fiscale qui leur permettent de payer peu d’impôts, ce qui leur donne un avantage injustifié par rapport aux entreprises nationales.
Certes, ces entreprises apportent un plus aux clients, mais ce plus, elles le font payer et acquièrent progressivement un pouvoir incontrôlable. Ne faudrait-il pas que les Etats imposent à ces grandes entreprises de nouvelles règles de fonctionnement, socialement décidées et contrôlées, par exemple en mettant en place des comités représentant toutes les parties prenantes (usagers, fournisseurs, salariés) ?