Je suis Sylvie…et je ne suis pas que ma maladie
A Besançon, Les Invités au Festin proposent aux personnes en souffrance psychique une démarche de soin reposant sur la relation humaine, le partage et la solidarité. Il s’agit d’une véritable alternative à l’hospitalisation.
Au 10 rue de la Cassotte, à Besançon, Edith, qu’on appelle ici « la maîtresse de maison », m’ouvre la porte. Devant moi, un très long couloir donnant sur un jardin intérieur. Cet ancien couvent des Capucins abrite depuis avril 2000 la Maison des Sources, créée par l’association Les Invités au Festin, pour accueillir des personnes souffrant de troubles psychiques. « C’est un lieu de vie qui soigne », m’explique d’emblée Marie-Noëlle Besançon, présidente de l’association. Psychiatre de formation, elle est l’initiatrice et la cheville ouvrière du lieu. [quote]On s’appuie sur le vivre ensemble, la fraternité. On veut permettre à des gens qui ont des séquelles de retrouver leur pleine citoyenneté et d’être de plus en plus libre. De choisir la vie qu’ils veulent vraiment.[/quote] Je croise Jean-Louis. « On est bien ici vous savez …» Ce sont ses premiers mots. Jean-Louis est un des treize résidents de la Maison des Sources. [quote cite=”Marie-Noëlle Besançon”]Ils sont ici chez eux. Ils partiront s’ils le veulent. D’ailleurs, ceux qui sortent habitent souvent en face et reviennent tous les jours.[/quote] La Maison des Sources accueille aussi, au centre de jour, des personnes plus autonomes qui viennent partager des moments d’activités et de convivialité.
Édith, responsable de tout ce qui concerne les treize résidents, court de son bureau à la cuisine : « j’espère que la blanquette sera cuite. Ici il faut être partout… ça va aller pour le riz ? » René, le cuisinier, a pris des vacances et la préparation du repas repose donc sur les épaules de deux résidents, Jacqueline et Thomas, aidés par Enys, un stagiaire de l’Institut régional du travail social (IRTS) de Besançon. Jacqueline prépare une vinaigrette et Thomas, un grand gaillard, lave la salade. « Je ne me rappelle plus depuis quand je suis ici », me dit Edith en réponse à ma question. En revanche, elle est intarissable sur la céramique, une activité qu’elle adore.
« Pas des malades mais des amis »
Juste à côté, dans la salle à manger, Julie, l’infirmière, prépare les piluliers pour les résidents qui sont tous sous médication. « Vous venez faire un p’tit tour dans la maison du bonheur », me lance-t-elle. Je rencontre Philippe, un bénévole. Cette nuit, il a dormi aux Invités au Festin, ce qu’il fait une fois par semaine. A partir de 18 heures, les salariés s’en vont et le centre de jour ferme ses portes. Seuls restent les treize résidents. « Il faut une présence rassurante, faire comme un bon père de famille. » Ce retraité de 72 ans a connu Les Invités au Festin grâce à un ami, qui l’a emmené au repas du mercredi soir, ouvert aux personnes de l’extérieur. « J’ai trouvé l’ambiance sympathique et j’ai proposé mes services. » Il a pris la relève pour l’animation du jardin et s’occupe du café philo qui se transforme, en octobre, en atelier lecture. Pourquoi un tel engagement ? « Parce que j’y prends plaisir, répond-il. J’ai trouvé ici non pas des malades mais des amis. On discute le soir, on partage. » Le concept des Invités au Festin permet de ramener la problématique psychiatrique au cœur de la société, et offre ainsi une alternative à l’hospitalisation, peu investie sur le relationnel. [quote cite=”Philippe”]Il y a beaucoup de gens qui ne sortent jamais de l’hôpital. Ici, ils sont en famille et c’est ce qui les équilibre. On sent qu’ils sont heureux, en paix et en sécurité.[/quote]
« J’essaie de consolider leur peinture, pour les consolider eux mêmes » Elodie-Anne Kroenig, art-thérapeute, anime aux Invités au Festin les ateliers mosaïque, peinture multi-supports, travaux manuels, danse et musique.
José, Charles, Raphaël et Séverine
José est assis dans un coin du salon, bras croisé sur sa poitrine. Il n’a pas bougé de la matinée. Il répond à mes questions par oui ou par non, d’une voix faible. J’apprends seulement qu’il fait de la gym, du Qi-Gong, de la peinture et de la piscine. Charles, qui fête aujourd’hui ses 57 ans, s’interpose pour parler du chat. « Je suis de chat pendant un an », me dit-il. Il est en effet responsable du chat Zorro. « Je serai de chat pendant trente-trois ans ? Et vous, vous serez là dans trente-trois ans ? Pourquoi ? »
Avec Charles, je saurai tout sur les véhicules de la maison, la date de naissance de Cécile, une bénévole avec qui il est allé la veille se promener en forêt, l’heure et le jour de sa lessive…et à la fin, il me confie : « Je me fais du souci, la nuit je ne peux pas dormir. J’ai une prise de sang le vingt quatre. Je suis inquiet. »
Les bonnes odeurs qui proviennent de la cuisine nous rassurent sur le sort de la blanquette de veau. Thomas chante devant les marmites. Séverine commence à mettre le couvert pour une quinzaine de personnes. Elle a 36 ans et une allure sportive. « Je me sens bien ici, explique-t-elle. On n’est pas isolés. On a plus d’affection. On est solidaires. On n’est jamais seuls. » Elle m’explique qu’elle ne peut plus vivre en appartement. Elle a besoin d’un cadre qui la rassure et la sécurise. Elle me parle de sa vie d’avant : « le matin je me levais, je m’occupais de mon lapin, je prenais des médicaments en masse et je passais toute la journée dans mon lit. Ici on me donne les médicaments à chaque repas, ça m’aide. »
« Tout le monde a un passé chargé ici »
Un peu plus tard, je retrouve Charles et Séverine, installés dans les fauteuils, face au jardin. « C’est l’accident qui m’a conduit en psychiatrie, me dit-elle. Je me suis endormie au volant, j’avais pris du Lexomil. Tout le monde a un passé chargé ici. On se rend compte qu’ils en ont bavé. Si j’étais pas ici, je serais dans la tombe. » Charles la regarde : « Tu es jeune. Tu m’aurais fait de la peine. » Séverine est touchée : « T’es gentil, Charlie. » Elle l’embrasse.
A 12h45 précises, résidents et salariés se retrouvent, ensemble autour de la table. Pour mieux se « mélanger », on trouve sa place par tirage au sort.
Dans d’autres structures, on est chacun de son côté. Ce qui est bien ici, c’est que les salariés nous parlent comme ils pourraient parler à n’importe qui. Ils nous disent des trucs qu’ailleurs ils ne diraient pas, sur leur vie personnelle, ce qu’ils pensent.
Si ce lieu de vie a choisi de s’appeler Les Invités au Festin, c’est en résonance avec la parabole (de l’Evangile) du même nom, selon laquelle un roi qui avait organisé une grande fête pour le mariage de son fils ne vit venir aucun invité. Il avait alors ordonné que soient conviés à sa table les habitants du royaume, tous sans distinction.
« Etre avec les autres »
Après le repas, et avant les activités de l’après-midi, le bar est un lieu idéal pour se poser. C’est une sorte de petite boite « douillette », vert anis et orange, qui contraste avec l’architecture de l’ancien couvent. « Ça fait un an et demi que je viens ici », me dit Sylvie, qui sert les boissons et a la responsabilité de la caisse. Elle fréquente le centre de jour où elle fait de la danse et participe au café philo et à l’atelier citoyen. « On se sent un peu comme dans un cocon. On vient des fois juste pour être avec les autres, être moins angoissé. »
Sylvie bénéficie de l’allocation adulte handicapé et vit tout près, dans un appartement, avec sa fille. Elle me parle de cette boule d’angoisse qui lui sert la gorge chaque matin au réveil et des médicaments qui lui servent de béquille. « Il faut une volonté d’avancer malgré la maladie. La différence avec les autres (ceux dits « normaux », Ndlr), on la sent. Je me force pour faire les courses, prendre une douche… » Sylvie a les yeux rouges, elle retient ses larmes. [quote cite=”Sylvie”] Je pense qu’une association comme les Invités au Festin, ça fait évoluer et tomber les barrières. Je suis Sylvie avec cette difficulté là, mais je ne suis pas que la maladie. Il est temps que cela se sache.[/quote] Thomas se joint à la conversation : « personnellement, j’ai fait beaucoup de progrès depuis que je suis ici. Je suis plus motivé ».
Jean-Marie fait une entrée remarquée au bar. Il porte un magnifique pantalon qu’il vient d’acheter à la friperie des Invités au Festin. Erwan vit chez ses parents et fréquente assidûment le centre de jour. Lui aussi apprécie les bonnes relations entretenues avec les salariés et la gentillesse des bénévoles : [quote cite=”Jean-Marie”]On plaisante beaucoup. Je me demande pourquoi il n’y a pas d’autres lieux comme celui-ci en France.[/quote]. Une situation qui devrait évoluer dans les années à venir, car les Invités au Festin ont créé un réseau qui porte 14 projets à l’image de la Maison des Sources, répartis dans plusieurs régions.
Nicole Gellot
Ce reportage a été réalisé à Besançon à la Maison des Sources par notre journaliste Nicole Gellot et est paru au mois de décembre dans le journal L’âge de faire. Ce reportage vous a intéressé ? L’âge de faire a besoin de vous pour continuer à vous fournir une information indépendante de qualité. Abonnez-vous !
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