Le programme Iter sur la fusion nucléaire est en train de déraper gravement. C’est l’alerte que lance Michel Claessens, ex-directeur de la communication du projet. Pour lui, la gestion calamiteuse du programme pourrait mettre en cause la sûreté du futur réacteur, actuellement en construction.
Iter (1), ce réacteur nucléaire expérimental, en construction près de Saint-Paul-lès-Durance (Bouches-du-Rhône), est méconnu du grand public. Il fait pourtant partie des recherches scientifiques les plus ambitieuses de notre époque, comparable à la station spatiale internationale. Son objectif est, ni plus ni moins, de maîtriser ce qu’il se passe au cœur des étoiles : la fusion nucléaire. Pour cela, 33 pays contribuent à la construction du réacteur, dont le coût total est estimé à 41 milliards d’euros. Le programme est géré par une organisation internationale, Iter Organization.
Les anti-nucléaires sont vent debout contre ce méga projet au coût faramineux, jugé inutile voire dangereux. également, certains physiciens expriment des interrogations devant la possibilité technique de voir un jour la fusion nucléaire produire plus d’électricité qu’elle n’en consomme. Ce n’est pas du tout le cas de Michel Claessens. Aujourd’hui retraité, ce chercheur en physique a même été le directeur de la communication d’Iter Organization, de 2011 à 2016. Autant dire que le bonhomme est convaincu du bien-fondé de l’entreprise : « C’est peut-être un cadeau pour nos enfants car en cas de réussite, le projet changera le cours de la civilisation », écrivait-il en 2018.
Radioactivité maîtrisée ?
Alors, quand il nous contacte pour dénoncer « de très graves dérives dans la gestion du projet Iter », on l’écoute d’une oreille attentive : « Les choses tournent mal depuis maintenant deux ans. Mais désormais, cela va trop loin » Michel Claessens est toujours en contact avec ses anciens collègues. Ils lui décrivent une « pression énorme » au travail, dont le suicide à Barcelone d’un salarié lié au programme, en mai 2021, ne serait que la partie la plus tragique. Harcèlement, tentative de suicide… « La direction d’Iter veut à tout prix tenir un calendrier intenable. Ils mettent une pression telle que de nombreuses personnes compétentes démissionnent. » Tenir le calendrier quoi qu’il en coûte humainement… jusqu’à compromettre la sécurité du réacteur en cours de construction ? C’est ce que craint Michel Claessens. Pour appuyer ses dires, il nous a transmis un courrier, daté du 25 janvier, signé de la main du président de l’Autorité de sûreté nucléaire. Dans cette lettre adressée au directeur général d’Iter Organization, le « gendarme du nucléaire » refuse de délivrer l’autorisation d’assemblage du tokamak, partie principale du réacteur. Les arguments de l’ASN sont pour le moins convaincants :
Autrement dit, le confinement de la radioactivité à l’intérieur du réacteur n’est pas assuré… Il y a aussi les deux premiers secteurs de la chambre à vide qui accueillera le cœur du réacteur, « affectés de non-conformités dimensionnelles »… « Pour gagner du temps, explique Michel Claessens, Iter aurait dû procéder à des tests de conformité en sortie d’usine. Maintenant que les secteurs sont livrés sur site, ils sont prêts à les installer, et à procéder ensuite à des soudures pour corriger la non-conformité ! » Le 28 février, Michel Claessens est appelé à témoigner devant les parlementaires européens pour alerter sur ces « dérives très graves ». Il a demandé à être placé sous statut de lanceur d’alerte.
Fabien Ginisty