Il est un endroit magique où chacun de nous se retrouve pour s’informer, réfléchir sur la vie, comprendre ce qu’il se passe dans notre société, afin de débattre ensemble et de se faire sa propre opinion sur le monde. Un lieu où tout le monde passe quotidiennement ou presque, avec le pantalon baissé jusqu’aux chevilles. Non, non, je ne parle pas de la télé. Mais bien… de nos toilettes.
Du pareil au même, me direz-vous. Que l’on lise pendant des heures ou que l’on ne fasse que passer, les chiottes sont le (petit) coin idéal pour causer de la concentration des médias et de notre démocratie. Je m’explique.
Si je suis systématiquement assis sur ma cuvette, ce n’est pas juste pour éviter de mettre des gouttes à côté. Chez moi, j’ai affiché l’air de rien dans mes latrines les deux chouettes affiches que vous pouvez retrouver en pages centrales de ce journal. À droite, la concentration un peu flippante des grands médias français aux mains d’une poignée d’industriels, réalisée par Acrimed et Le Monde diplomatique. Et puis à gauche, les petits canards de la presse pas pareille, qui cancanent d’autres idées aux six coins de l’Hexagone.
Ces posters ont suscité quelques interrogations de la part de mes colocataires sur l’état de la presse en France (1). Les grands médias sont devenus les lieux d’aisance des milliardaires pour se faire du blé et diffuser leurs idées. Dans le documentaire Media crash. Qui a tué le débat public ? qui sort en ce moment au ciné, on apprend que 9 milliardaires seulement détiennent plus de 90 % des médias privés. Des grands capitaines de l’industrie qui font leur beurre principalement dans le luxe, les télécoms, les transports ou l’énergie. Mais qui aiment bien s’offrir un ou deux médias de temps en temps pour se détendre les stock options.
Sauf que l’on n’achète pas un journal comme on se paie une crème pour le visage ou un forfait de téléphone. Pourquoi ces filous notoires se constituent un tel empire ? Même nos sénateurs s’en inquiètent. Les élus ont lancé une commission d’enquête et auditionné une bonne partie de ces personnes. Le rapporteur a mis par exemple plus de six minutes pour énumérer tous les journaux, les radios, les chaînes, et j’en passe, détenus par Vincent Bolloré. Le mécène facho de Zemmour a soutenu qu’il voulait simplement « sauver la culture française », en arguant que son groupe de presse était « encore tout petit », avec très peu d’audiences et très peu de chiffre d’affaires, comparé aux Gafam. Et que c’était simplement pour se faire du fric. Qu’il n’est jamais intervenu dans les rédactions pour censurer. Et qu’il n’a aucune volonté politique et idéologique derrière la tête.
Pourtant l’actionnaire a coupé des têtes dans les rédactions, censuré des docus d’investigation sur ses copains, lancé des « procès-bâillon » pour épuiser systématiquement devant la justice tous les journalistes qui enquêtent sur lui (2).
Mais on peut tous agir. On ne cesse pas de vous rebattre les oreilles avec ça, mais abonnez-vous à des journaux libres qui font leur travail sans diffuser des idées douteuses et dangereuses. Les copains du journal Le Ravi, à Marseille, ont lancé une pétition en ligne : « Pour que vos impôts cessent de financer les Bolloré ! », que vous pouvez signer. L’info libre n’est pas une marchandise. Elle doit être aidée publiquement sans contreparties, comme la santé ou l’éducation. Réclamez une « Sécu de l’info ». Et surtout, allez aux chiottes ! Essuyez-vous l’arrière-train avec Le Figaro. Affichez la concentration des médias. Montrez les journaux citoyens. Devenez les chefs de cabinet de la presse pas pareille !
1 – La France est à la 34e place sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse en 2021 par Reporters sans frontières. Journalistes convoqués pour avoir fait leur travail d’investigation, blessés lors de manifestations… Pas si reluisant que ça pour le pays des droits de l’Homme, vous ne trouvez pas ?
2 – À voir ci-dessous : le documentaire de 16 minutes Le système B. L’information selon Vincent Bolloré, réalisé par Reporters sans frontières, en accès libre.